GÉANT de George Stevens : la grandeur et la face sombre du Texas

Grande fresque sur plusieurs générations au coeur du Texas, Géant (Giant) de George Stevens est resté dans les mémoires pour ses trois têtes d’affiche mythiques : Elizabeth Taylor, Rock Hudson et James Dean. Des décennies après sa sortie, le film n’a rien perdu de sa superbe et son propos résonne encore…

Bick Benedict (Rock Hudson), texan propriétaire de nombreuses terres et d’un vaste ranch, se rend dans le Maryland pour acquérir un nouveau cheval. Il tombe sous le charme de la fille de la famille du vendeur, Leslie (Elizabeth Taylor). La beauté ensorcelante et le caractère bien trempé de la jeune femme sont peut-être ce qui l’a séduit mais c’est aussi ce qui va ensuite lui donner du fil à retordre.

Moderne et affirmée, Leslie va en effet avoir quelques difficultés à se fondre dans le décor du Texas. Les proches de Bick, à commencer par sa soeur Luz (Mercedes McCambridge), voient cette fille bien éduquée et un peu trop apprêtée d’un mauvais oeil et ne vont pas lui réserver le meilleur des accueils. Refusant d’être une épouse passive et décorative, Leslie s’impose et n’hésite jamais à donner son avis quitte à faire grincer des dents. Son incursion dans l’univers de Bick va déclencher une série de drames et les confrontations vont être nombreuses.

Rapidement, l’épouse Benedict s’intéresse aux mexicains des alentours qui sont traités avec un racisme non dissimulé. On les exploite, on les fait vivre à l’écart dans des conditions intolérables, on refuse de partager le même médecin qu’eux. Leslie s’insurge et va à l’encontre des traditions nauséabondes de son entourage et peu importe si cela déplait. Elle ne se laisse pas non plus marcher dessus quand les hommes lui font savoir que ses opinions politiques et / ou personnelles n’ont pas de valeur. Si avec l’arriéré Bick les querelles seront légion, le couple n’aura pourtant de cesse de se rabibocher, trouvant une force inespérée dans leurs grandes différences.

En arrière-plan, le rebelle Jett Rink (James Dean) observe tout ce qui se passe et rêve d’une vie meilleure. Bick voulait se débarrasser de lui mais sa soeur Luz a insisté pour le garder. Et à la mort de cette dernière il s’avère qu’elle lui a légué un petit bout de terre que Jett refusera de revendre. Ne portant pas Bick dans son coeur, désirant en secret Leslie, Jett espère un jour prendre sa revanche. Coup de chance : il va littéralement devenir le roi du pétrole grâce à l’héritage de Luz.

Bien des années après, alors que les enfants de Bick et Leslie sont devenus de jeunes adultes, c’est le choc des générations et des époques. L’élevage de bétail sur lequel avait misé Bick n’a plus trop la côte et tout le monde ne jure plus que par le pétrole. Jett Rink est devenu un homme richissime et adulé, ce qui ne l’empêche pas d’être malheureux : il n’aura jamais eu Leslie et il courtise alors sa fille…

Le fils de Bick, Jordy (Dennis Hopper), ne fait pour sa part pas la fierté de son père, ayant refusé de reprendre les rênes du ranch pour devenir médecin et se mariant à une femme mexicaine, Juana (Elsa Cárdenas), ce qui va lui valoir de subir avec elle et sa famille le racisme tenace des texans…

Dernier film de James Dean, connu pour son tournage compliqué (James Dean faisait la gueule et ne s’entendait pas avec le réalisateur / Rock Hudson était victime d’un maître-chanteur le menaçant de révéler son homosexualité à des tabloïds / Elizabeth Taylor avait des soucis de santé…), Géant est un gros spectacle qui éblouit encore aujourd’hui du haut de ses presque 3h30.

George Stevens adapte ici une oeuvre de Edna Ferber et prend son temps pour poser avec une certaine épaisseur de nombreux personnages à la force intemporelle. Il oppose aussi et surtout les grands espaces imposants du Texas à la petitesse d’esprit de certains de ses habitants.

Rock Hudson se coltine un rôle franchement ingrat. Bick est un personnage souvent peu aimable pour ne pas dire parfois détestable. Rustre, un peu raciste et misogyne sur les bords, trop fier. Il appartient à un temps révolu et le récit est avant tout celui de sa chute. Lui qui pensait être tranquille avec son petit empire et la belle jeune fille qu’il avait épousé va voir tous ses plans mis à mal. Leslie n’en finit plus de lui tenir tête, sa soeur qui était son bras droit meurt, ses enfants vont à l’opposé de tout ce qu’il pouvait attendre d’eux. Et ce maudit Jett Rink prend sa revanche.

Jett Rink, c’est le rebelle sympathique, l’outsider campé par un James Dean fougueux et attachant. On le voit évoluer de jeune loup solitaire et presque méprisé en roi du pétrole. Mais la réussite qu’il attendait tant et qu’il a décroché ne le contente pas. Il n’a pas eu la revanche qu’il espérait sur Bick, il n’a pas gagné le coeur de Leslie et a du mal à séduire la fille de celle-ci. Alors qu’il pourrait tout avoir, il se saborde, tombe dans l’alcool. Et le rebelle au grand coeur montre petit à petit un visage plus sombre, notamment quand lorsqu’il inaugure son aéroport il demande à ce que les personnes mexicaines se voient refuser l’accès…

Le personnage qui brille au final le plus ici est celui de Leslie, avec une Elizabeth Taylor toujours magnifique. Elle est la figure progressiste de l’histoire, une femme battante et aussi une belle amoureuse. C’est par son regard qu’on arrive à aimer un peu Bick et elle est l’obsession secrète de Jett. La scène où elle s’oppose à un groupe d’hommes lui faisant comprendre qu’il faut qu’elle ferme son clapet est un grand moment et la scène finale où elle exprime son admiration à son époux lessivé aussi.

On a souvent pu lire que Géant était le prédécesseur de la série Dallas. Le film a en effet un côté « feuilleton » et saga familiale qui est assez savoureux. Et s’il y a quelques baisses de régime et couacs (notamment les maquillages assez exagérés dans la dernière partie), on reste captivés du début à la fin.

Le dernier acte parle franchement du racisme à travers le personnage de Juana, mariée au fils Benedict. On peut, à juste titre, penser que si Jordy l’a épousée c’est grâce à l’éducation progressiste de sa mère. Et cette union amènera l’arriéré Bick à évoluer, ne serait-ce qu’un petit peu, dans le bon sens.

Pour son trio d’acteurs mythiques, ses personnages sensibles et forts, sa saga familiale, ses décors et ses thématiques intimes et politiques, Géant reste un film important, qui parcourt sans mal le temps.

Film sorti en 1956. Disponible en DVD et VOD