FICTIONS LGBT

GOUTTES D’EAU SUR PIERRES BRÛLANTES de François Ozon : amour et dépendances

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Allemagne, années 1970. Léopold (Bernard Giraudeau) rentre chez lui avec Franz (Malik Zidi), un jeune homme de trente ans son cadet qu’il a accosté dans la rue. Cultivé mais encore naïf, ce dernier se laisse manipuler et séduire et quitte rapidement sa petite amie Anna (Ludivine Sagnier) pour se mettre en ménage avec l’homme expérimenté. Il ne faut pas beaucoup de temps à Léopold pour dominer sa nouvelle conquête.

Après quelques semaines de relation, Franz apparaît métamorphosé, effaçant peu à peu chaque jour sa personnalité pour se plier aux désirs d’un homme qui ,lui, le respecte de moins en moins, ayant délaissé la séduction pour reprendre un train-train des plus asphyxiants. Les retours d’Anna, prête à offrir à Franz une seconde chance et de Véra, ancien amoureux de Léopold devenu une femme pour jadis le satisfaire, changeront-ils la donne ? 

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Adaptation de Tropfen auf heisse Steine, pièce écrite à 19 ans par Fassbinder et qui ne fut jamais adaptée, ni au théâtre ni au cinéma, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes est sans doute l’un des films les plus minimalistes de François Ozon. Découpé en plusieurs actes, se déroulant en huis-clos, le film assume son côté théâtral et joue avec les contraintes de décors limités pour imposer un véritable style et un texte tour à tour drôle, cruel, émouvant ou à la frontière du grotesque.

Les affres de l’amour, l’impossibilité de se réaliser à deux, des relations de domination-soumission : ce véritable hommage au cinéma de Fassbinder, évoque notamment le magnifique Les larmes amères de Petra von Kant. François Ozon, plein d’audace, filme à travers un appartement des protagonistes allemands joués par des français, dans un univers visuel entre austérité et kitsch. Tout semble permis, il n’y a plus de norme, les hommes changent de sexualité en un clin d’œil, les corps s’entrechoquent.

Léopold, homme mûr travaillant dans les assurances, pervers et manipulateur, semble toujours parvenir à ses fins. Sans être beau, il dispose d’un charisme diabolique et d’une ferveur sexuelle qui l’aident à prendre le dessus sur les hommes ou les femmes qu’il s’est mis en tête de séduire. A la séduction succède l’initiation : l’homme est doux et charmeur jusqu’à ce qu’il parvienne totalement à dominer celui ou celle qui partagera son quotidien pour les semaines, les mois ou les années à venir. Une fois que l’autre est tombé amoureux, qu’il s’est laissé dominé, est sous son emprise, il perd peu à peu son intérêt. Léopold devient imbuvable, ne se satisfait pas de ce qui est acquis, reproduit inlassablement le même schéma tordu, faisant aussi bien le malheur des autres que le sien.

Jusqu’où peut-on se laisser manipuler par passion ? Véra, personnage tragique, a été jusqu’à changer de sexe, d’identité, pour tenter de garder celui qui pourtant passait son temps à la malmener. Franz pourrait bien connaître le même sort et même Anna pourrait y laisser son âme et son corps…Portraits de personnes pour qui amour rime avec dépendance et rapports de force, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes est une œuvre troublante, qui fait rire jaune, qui ose ouvertement la cruauté et le grotesque. Teinté d’érotisme, jouant de sa bizarrerie, le long-métrage ne cesse de charmer et surprendre jusqu’à un final tragique.

Film sorti en 2000. Disponible en DVD et VOD 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3