FICTIONS LGBT
GREAT FREEDOM de Sebastian Meise : l’amour, même en prison
Avec Great Freedom, le réalisateur Sebastian Meise revient sur une sombre période, celle de l’Allemagne d’après-guerre où l’on emprisonnait les homosexuels. Il signe un grand film, plein de souffle et d’humanité. Chef d’oeuvre.
Allemagne, années 1960. Hans Hoffmann (Franz Rogowski) est confronté au tribunal à des images de lui en train de fricoter avec des hommes dans des toilettes publiques. Il a été piégé, une caméra était cachée pour attraper des homosexuels et les envoyer en prison comme l’autorise le paragraphe 175 du code pénal. C’est la troisième fois que l’homme retourne derrière les barreaux, refusant de s’interdire de vivre, d’aimer, de prendre du plaisir.
Arrivé dans une prison qu’il commence à connaître, il retrouve un prisonnier hétéro avec qui il s’était lié d’amitié lors de ses précédents séjours, Viktor (Georg Friedrich), mais aussi Leo (Anton von Lucke), un jeune gay qu’il avait croisé dans les toilettes et qui s’est fait attraper comme lui. Nous suivons le quotidien forcément rude au sein de l’univers carcéral mais aussi les petits moments qui font que les prisonniers parviennent à se sentir encore vivants. Hans essaie de trouver des stratagèmes pour pouvoir passer du temps avec le beau Leo voire prendre un peu de plaisir avec lui.
Cette troisième incarcération va se mêler aux flashbacks des précédentes nous montrant le début de la drôle de relation entre Hans et Viktor, la passion perdue de Hans avec le grand amour de sa vie Oskar (Thomas Prenn). Malgré les romances brisées, l’honneur bafoué, Hans continue de vivre et d’aimer et va entreprendre d’aider Viktor, accusé d’une mystérieuse et lourde peine, à s’en sortir. Viktor a en effet des problèmes d’addiction et Hans va tenter de l’en faire sortir, renforçant leur lien au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer…
Comme c’est souvent le cas avec les grands films, on ressort de Great Freedom sonné, touché, avec l’impression d’avoir vu quelque chose de fort et de parfait. La mise en scène évoque les plus grands films de prison tout en apportant un nouveau regard à travers le récit d’un prisonnier gay à une époque où l’homosexualité était illégale en Allemagne. Les acteurs ont tous des gueules et un magnétisme renversant. L’écriture est subtile. L’ensemble est beau, profond, romanesque. Tout est fluide, universel.
Si le sujet peut paraître très lourd et dur à priori, le cinéaste réalise l’exploit de presque nous donner envie de rester dans cette prison. Car s’y déploie une humanité bouleversante, car Great Freedom sait créer des personnages forts, inoubliables, et aborde avec une rare force de grands sentiments.
Evidemment, on n’est pas prêt d’oublier Hans Hoffmann, « homosexuel récidiviste » qui a eu comme certains à l’époque ce drôle de traitement réservé aux homosexuels sortant des camps de concentration. A peine délivrés, on les jetait en prison ! Malgré tout ce qu’il a enduré, Hans garde sa lumière, sa malice, son envie d’aller vers l’autre, d’aimer. S’il est indéniablement coquin, c’est avant tout un grand romantique, un homme qui cherche simplement à pouvoir vivre tranquillement un jour une histoire d’amour avec un autre homme.
Face à lui, Viktor, homme hétéro, prisonnier qui travaille dans les cuisines de la prison et qui se débrouille pour pouvoir trouver de quoi se défoncer. Un homme au premier abord rustre mais qui va se laisser émouvoir par Hans avec qui il va développer un lien d’amitié puis affectif.
Les films de prison / d’enfermement ont souvent cette atmosphère particulière : le huis clos entre hommes, le fait d’être coupé de tout dans un univers avec ses propres codes, renforce le caractère introspectif, décuple la mélancolie, rend tout plus intense. On pense au film Hunger avec Michael Fassbender pour la touche sensible et poétique que Sebastian Meise arrive à amener au milieu des barreaux.
Plein de cinéma, généreux, constamment touché par la grâce, abordant un sujet rare avec maestria : Great Freedom est un grand film qu’on n’est pas prêt d’oublier.
Produit en 2021. Grand Prix du Festival Chéries Chéris 2021. Sorti au cinéma le 9 février 2022