GUEULE D’AMOUR de Jean Grémillon : Gabin sensible

Un Jean Gabin sensible, une femme fatale, une amitié masculine ambigüe et un final des plus surprenants : c’est le programme de Gueule d’amour de Jean Grémillon.

Sous-officier de spahi, Lucien Bourrache (Jean Gabin) est acclamé alors qu’il revient dans sa ville. Il a une réputation de tombeur et on le surnomme Gueule d’amour. Aucune fille des parages ne lui résiste et il en a conscience et se pavane à la première occasion. Lucien papillonne avec nonchalance et adore passer du temps avec son meilleur ami médecin, le délicat et élégant René (René Lefèvre).

Afin de toucher un héritage, Lucien quitte la ville d’Orange pour aller à Cannes. Pendant cette permission, il tombe sur une belle inconnue, Madeleine (Mireille Balin). Ils passent la soirée ensemble et elle joue l’argent de son héritage et le perd. Il s’en fiche : il est sous charme et se délecte à l’idée de passer la nuit avec elle. Sauf que quand il la raccompagne devant chez elle, elle lui ferme la porte au nez ! Pour une fois qu’une femme lui résiste, Lucien perd la tête et tombe fou amoureux. Madeleine est une énigme, aussi belle qu’imprévisible. Elle va constamment jouer au chaud et au froid avec lui, décuplant ses sentiments et chamboulant toute son existence.

Obsédé par cette première femme dont il tombe amoureux, Lucien quitte tout, entend vivre à Cannes et travailler comme typographe. Il espère convaincre Madeleine de tout lâcher pour lui. Mais si elle est bien éprise, la jeune femme est tiraillée entre ses sentiments et son train de vie qu’elle n’entend pas restreindre (jusqu’ici elle menait la belle vie dans un grand appartement avec majordome, aidée par des hommes riches qui l’entretenaient, et subvenant aussi aux besoins de sa mère légèrement pique assiettes sur les bords). Les incertitudes de Madeleine vont peu à peu dévorer Lucien, au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer.

Le début du film est assez classique avec son Jean Gabin en héros, objet de désir de toutes les filles de sa ville. Et puis entre en scène le personnage de Madeleine, géniale femme fatale campée parfaitement par Mireille Balin. Dès lors, l’oeuvre bascule complètement alors que le personnage principal se métamorphose. Lucien apparait comme un amoureux immature qui ne peut s’empêcher de tomber fou amoureux de la seule femme sur laquelle son légendaire charme ne semble pas trop faire d’effet. Madeleine a vite fait de le retourner, en jouant sur la frustration et en mêlant leur relation d’espoirs et de déceptions.

Petit à petit, celui qui était Gueule d’amour se métamorphose. Il perd sa confiance en lui, il doute et se montre vulnérable, se sacrifie. La situation d’attente permanente dans laquelle le place Madeleine le rend fou et va à terme causer son désespoir.

La dernière partie du long-métrage est définitivement la meilleure, montrant un Jean Gabin fatigué, à terre, plus que l’ombre de lui-même. Brisé, l’homme n’en aura pas encore fini avec Madeleine, plus ambivalente que jamais qui va revenir vers lui pour une ultime confrontation des plus terribles.

Sans trop en dire, le final du film est surprenant et d’une grande noirceur. Et il met subitement au premier plan la bromance entre Lucien et l’adorable ami fidèle René. Le tombeur est tombé, il pleure et les derniers plans sont d’une sensibilité qu’on n’attendait pas (et sublimant une amitié amoureuse au masculin comme on en voyait rarement dans les films de l’époque – on est bouche bée par les élans d’affection soudains entre les deux hommes). Un drame puissant à redécouvrir.

Film sorti en 1937. Disponible en DVD et VOD