FICTIONS LGBT

HALTEROFLIC de Philippe Vallois : masques ambigus 

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Film rare et culte de Philippe Vallois, Haltéroflic mêle enquête policière et jeu de dominant-dominé. Le frêle Serge Avedikian y fait face au musclé et charismatique Illias Sikinos. 

Le film s’ouvre sur les personnages de Loukas (Illias Sikinos) et Désiré (Gaby Lambert), deux bodybuilders en plein entrainement. Tout de suite, l’imagerie est puissamment homoérotique. Alors que Désiré se dépasse dans la salle de sport aménagée par Loukas au milieu d’un grand bâtiment abandonné et que des enfants jouent autour d’eux, le sang finit par couler. Dur de dire ce qu’il se passe : accident ou meurtre ? Le doute subsiste. Une enquête est ouverte et l’inspecteur Guy Merlin (Serge Avedikian) est chargé d’infiltrer l’univers de Loukas et d’essayer de lui tirer les verres du nez. 

Croisant Loukas dans un bar, Guy attire son attention et le suit dans son entrepôt d’entrainement. Loukas lui propose rapidement de le prendre sous son aile et de l’entrainer. Guy est instantanément à la fois attiré et fasciné par ce grand gaillard ultra costaud et viril à l’attitude d’alpha. Alors que Loukas laisse deviner un tempérament violent voire sadique, le flic pense d’abord à prendre la fuite… mais il va revenir, encore et encore. 

Plus l’enquête avance, plus Guy semble perdre pied. S’il fait dans un premier temps semblant de devenir l’ami et le poulain de Loukas, il se retrouve bel et bien à s’attacher à lui. Mais surtout Loukas va toucher un point très sensible et quelque part trouver sa faille : Guy, homme sans histoire, en ménage avec une femme, toujours calme et délicat, mordillant ses draps le soir comme un gamin, a toujours ressenti une forme de manque de virilité, d’ascendant masculin sur lui. Il a grandi élevé par des femmes, n’a jamais eu autour de lui de figure masculine forte. La camaraderie pleine de testostérone que lui apporte Loukas lui fait un curieux bien. Et quand Loukas se met à être dur avec lui, il réalise petit à petit qu’il aime beaucoup ça… 

Des jeux de plus en plus ambigus et tordus se mettent subtilement en place entre les deux hommes. Loukas passe ainsi de coach à bourreau et comme hypnotisé, sous emprise, Guy a de plus en plus de mal à lui résister : il n’en a plus envie tout simplement. Son masochisme se révèle au fil des jours…

haltéroflic film philippe vallois

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On pense à pleins de films qu’on aime en découvrant cette pépite underground française. Il y a la belle photo de François About qui évoque toute une série de films adultes gays aujourd’hui adulés et la thématique fait aussi pas mal penser au Noir et blanc de Claire Devers (qui est sorti plus tard). 

Si la relation entre Guy et Loukas ne sera jamais ouvertement présentée comme homosexuelle (ils se revendiquent tous les deux hétérosexuels), tout le film baigne dans une atmosphère crypto gay et une relation teintée de BDSM se met délicatement en place. L’un comme l’autre, ils avancent avec une sorte de masque : Guy cache à Loukas qu’il est de la Police (un corps de métier que Loukas hait particulièrement au point d’avoir dans son entrepôt un mannequin de flic qui sert comme jeu de fléchettes) et fait mine d’être son ami pour possiblement lui faire avouer un crime et Loukas joue au coach protecteur qui fait mine de ne se rendre compte de rien alors qu’il flaire tout de suite les points sensibles de celui qu’il a en face de lui. Qui domine et dupe vraiment l’autre ? Dur à dire, la relation fluctuant en permanence (et c’est ce qui la rend si ambigüe et captivante). 

haltéroflic film philippe vallois

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Tout le métrage joue avec les faux semblants et les masques (Loukas porte d’ailleurs un masque dans un clip pop diffusé à la télévision), le travestissement de la réalité (comme le chef de Guy qui mène son enquête en jouant les travestis et qui semble y prendre de plus en plus goût). A force de se faire passer pour ce que l’on n’est pas, on ne devient plus sûr du tout de qui on est vraiment… 

Si dans un premier temps Loukas apparait comme la créature du film de par son apparence de bodybuilder aux attitudes d’ogre (il mange de grosses portions de viande crue et ne se prive pas pour roter une fois repu), la transformation progressive de Guy au fil du métrage vient sérieusement troubler les choses. En arrière plan des récits anciens tribaux entre rituels et dévoration…. 

haltéroflic film philippe vallois

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Le spectateur navigue en eaux troubles et a du mal à deviner ce qui est en train de se passer et qui tire les ficelles. Une scène faussement anecdotique lors de laquelle Loukas essaie de manipuler un de ses adversaires de culturisme est parfaitement à l’image du métrage : Loukas pense le heurter mais sans en avoir l’air sa cible lui retourne le cerveau à son tour et le met à terre. Ce genre de petit jeu se déploie du début à la fin entre Guy et Loukas et jusqu’au dernier plan on pourra se demander qui a vraiment dévoré l’autre. 

Outre cette relation pleine d’étrangeté et le duo de choc formé par ses deux interprètes opposés, le film de Philippe Vallois parvient à poser toute une atmosphère singulière, entre fantasmes, travestissements et freak show. Pépite. 

Film produit en 1983 et disponible en VOD sur Vimeo 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3