CINEMA
HAROLD ET MAUDE de Hal Ashby : nouveau souffle
Harold, 19 ans, est un jeune homme perturbé. Vivant dans une grande demeure avec sa bourgeoise de mère, il s’ennuie et a l’impression de ne rien vivre. Alors, il met en scène différents suicides artificiels qui ont le chic d’irriter une maman plus portée sur les apparences que sur le réel bien être de son fils. Elle l’envoie chez un psy, l’incite à se rapprocher d’un oncle militaire, lui organise des rencontres avec des jeunes femmes dans le but de le marier… Un quotidien anxiogène auquel le jeune homme échappe en se baladant seul, parcourant les cimetières, assistant aux funérailles de gens qu’il ne connaît pas.
C’est au détour de l’un de ces vagabondages qu’il va croiser le chemin de Maude, vieille dame qui fêtera bientôt ses 80 ans, « un bel âge pour s’éteindre ». Insolente, pleine de vie et un peu folle, vivant dans une sorte d’ancienne locomotive qu’elle a décoré avec de multiples objets trouvés ou volés, cette personnalité haute en couleurs va peu à peu sortir Harold de sa sinistrose et le réconcilier avec la vie. Amis puis amants, Harold et Maude vont cultiver une relation qui les marquera à jamais…
Sorti au début des années 1970, Harold et Maude n’avait pas manqué de faire du bruit, en bien comme en mal, avec son couple de cinéma pour le moins atypique. Le trouble face au film est d’autant plus fort que s’il est censé être âgé de 19 ans, Harold a l’allure d’un jeune adolescent. Pour autant, le film de Hal Ashby est loin de susciter le malaise. C’est plutôt tout l’inverse. Si l’on découvre au début du métrage Harold sur le point de se pendre, c’est pour mieux réaliser quelques secondes plus tard qu’il ne s’agit que d’une étrange farce, une mise en scène macabre qui lui permet de se divertir tout en tentant d’attirer l’attention d’une mère définitivement à côté de la plaque. Ainsi, le jeune homme a beau multiplier les faux suicides, de plus en plus spectaculaires (et filmés avec de plus en plus de drôlerie), rien n’y fait : pas question pour sa maman de se faire du mauvais sang, de se remettre en question. Elle préfère l’emmener chez un spécialiste, faire l’autruche quand il aurait été judicieux de s’interroger sur sa part de responsabilité dans les troubles comportementaux de son enfant. Lorgnant avec panache du côté de la comédie, le long-métrage égratigne avec malice la petite bourgeoisie américaine. Et évoque surtout le calvaire d’un garçon coupé du monde, privé de tout ce que l’existence peut avoir de réjouissant.
Harold a du mal à bien se tenir, donne l’impression de s’excuser d’être là en permanence quand il ne provoque pas les gens qui l’entourent comme un sale gosse. Sa mine dépressive va s’opposer à celle radieuse de Maude, qui malgré son âge avancé transpire la joie de vivre, la jeunesse, la liberté. D’abord perplexe face à celle qui pourrait n’être qu’une vieille cinglée, il va apprendre à la connaître et tomber sous son charme. Maude est un rayon de soleil, s’amuse comme une enfant, déborde d’enthousiasme, transforme le quotidien en un terrain de jeu où rien n’est impossible. Elle vole des voitures, sème des policiers, multiplie les farces, refuse tout pessimisme, voudrait passer son temps à danser, chanter, profiter de chaque senteur, chaque sensation, chaque forme d’art. Elle va aider Harold à voir le positif, lui donner un amour dont il a toujours cruellement manqué, l’amener à s’affirmer. Le lien qui les unit est fort et difficilement qualifiable (un mélange de filiation, d’amitié et de désir).
L’humour noir se mêle à la tendresse, à des situations aussi culottées que drolatiques. La bande-originale sensible, signée Cat Stevens, entête et renforce l’émotion. Le duo d’acteurs donne, lui, tout le relief et l’intensité qu’on pouvait espérer à des personnages de doux marginaux. La réalisation, élégante et inspirée, renforce l’ampleur d’un scénario à la fois simple et profond, pas conventionnel. Harold va prendre une grande leçon de vie : lui le petit homme socialement privilégié, se sentant comme « mort plusieurs fois » à force de ne rien expérimenter, de se laisser enfermer, va comprendre que le bonheur est une bataille quotidienne, un travail sur le regard. Maude a fait face à bien des drames (il est notamment habilement suggéré qu’elle a connu les camps de concentration) mais s’est toujours relevée, refusant de céder à la peine, à la nostalgie, au poids des normes. Une personne inclassable et admirable, indissociable d’un film dont l’irrévérence et l’humanisme sont aptes à réchauffer les cœurs des plus blasés.
Film sorti en 1971 et disponible en DVD