FICTIONS LGBT

IN THEIR ROOM SAN FRANCISCO & BERLIN de Travis Mathews : garçons de chambre

By  | 

Quoi de mieux qu’une chambre pour parler de l’intimité ? Le réalisateur américain Travis Mathews est allé à la rencontre de plusieurs garçons, posant sa caméra dans leur appartement afin de capturer un peu de leur quotidien. Les éditions allemandes Salzgeber ont sorti en DVD les deux chapitres de In their room : l’un prenant  place à San Francisco et l’autre à Berlin. Une édition à saluer d’autant plus qu’elle est très complète, incluant notamment le très beau court-métrage du cinéaste, I want your love.

Que se passe-t-il donc dans les chambres des garçons à San Francisco ? Précisons que tous les sujets sont ici gays. Rien d’extraordinaire à l’écran : on observe les boys en train de traîner au lit, de se gratter le paquet, de ranger leurs vinyls… Et c’est là tout l’intérêt de l’exercice. On se souvient tous de ces dimanches cotonneux, post -cuite, où l’on se réveillait dans l’appartement d’un inconnu croisé la veille. On découvrait alors l’autre en petite tenue, son environnement. Une chambre, c’est un univers. Une chambre est toujours truffée d’indices ou de fausses pistes sur notre personnalité. Filmés dans leur solitude, invités à s’exprimer sur leur sexualité, leur rapport aux autres ou ce qui leur passe par la tête, les mecs de In their room se donnent complètement à la caméra. Rien ne paraît joué, trop mis en scène : tout sonne juste. Et si Mathews témoigne d’un véritable regard documentaire, il n’en est pas moins inspiré, multipliant les gros plans sur des parties du corps généralement peu mises en avant au cinéma. On notera ainsi une certaine fascination pour tout ce qui d’habitude est proscrit dans le x, miroir trop souvent déformant de la réalité. Fesses velues, bedaine, petits boutons… Il n’y a ici pas de beauté type, une volonté palpable de se rapprocher à la fois de « la vraie vie » tout en ne pouvant réprimer un amour évident pour la marge (les intervenants ont entre 20 et 40 ans, sont majoritairement artistes, électrons libres, tatoués).

On se surprend de constater que la banalité des images nous scotche, fascine. Car si finalement peu de choses nous sont dévoilées sur chacun des garçons, les observer en train de ne rien faire si ce n’est s’ennuyer, tuer le temps, nous permet d’être plus que jamais proche d’eux. C’est un miroir de notre propre solitude qui nous est renvoyé. Et ici cette solitude est belle, tendre, parfois drôle… et chaude. Seuls dans leurs appartements, nos amis finissent souvent par céder à la tentation de l’onanisme. Ce qui donne lieu à des moments bruts très troublants (mentions spéciales au petit bottom Parker et au so hot Jesse, l’un des deux acteurs aperçus dans le court et le long I want your love, qui ici s’offre un plaisir solitaire qui de par sa justesse met KO tous les solos x trop fabriqués vus jusqu’alors).

in their room travis mathews

In their room San Francisco dure un peu moins de 20 minutes. On en ressort frustré, on voulait en voir plus. Heureusement, les bonus du DVD nous proposent des portraits isolés et inédits. De quoi nous rassasier.

Pour ce qui est de In their room Berlin, le concept est un peu le même mais il connaît des évolutions notables. S’approchant d’une durée d’une heure, l’ensemble s’apparente à un vrai long-métrage, dont les portraits éclectiques forment un tout d’une force inattendue. Cette fois, Travis Mathews filme un peu l’extérieur de la ville, les immeubles… Le film s’ouvre sur un mec au crane rasé, casque sur les oreilles, attendant le métro. Mais nous nous éloignons de lui pour découvrir , comme dans le chapitre dédié aux boys de San Francisco, plusieurs chroniques solitaires. Nombreux sont ceux à partager leur étrange désir de rester seul, de ne pas forcément avoir envie de trouver un partenaire. Un bruit revient sans cesse, celui du site de rencontres Gayromeo/Planetromeo, indiquant qu’un plan pourrait interrompre le quotidien presque rituel des plus casaniers.

in their room travis mathews

Le virtuel comble l’ennui, le possible manque, permet de se connecter à d’autres corps. X, chat, Chatroulette, plan cam : chacun à sa petite façon de finir par satisfaire ses envies. Nouveauté : Travis Mathews filme aussi ici des duos. Deux amis en train de se raconter les dernières nouvelles, un couple passant la journée au lit, une rencontre via Internet… Le summum est atteint quand le garçon du métro qui ouvrait le film rencontre le joli brun que l’on avait découvert seul puis conversant avec un ami. Ils se lancent dans des préliminaires, essaient d’opter pour la pénétration. Ce qui donne lieu à des scènes d’une précision et d’une justesse remarquables. On s’y croirait, on réalise à quel point Mathews est doué pour capturer le réel, le retranscrire, le mettre en scène avec une infinie délicatesse. Les échanges sommaires ou plus profonds, les petits complexes, les maladresses : on assiste au récit d’une rencontre, filmé avec la même intensité que celle déjà présente dans le court-métrage I want your love. Le mec tatoué et à priori sûr de ses moyens révèle sa fragilité, son partenaire n’est pas certain de parvenir à se laisser prendre, ils s’excitent, se lèchent, s’embrassent, une alchimie se dessine avant que la solitude ne reprenne le dessus, nous laissant finalement face à une grande mélancolie.

Les deux volets de In their room constituent au final un drôle d’objet, entre documentaire, fiction, portraits et porno. On a rarement vu le rapport à soi, à son corps et celui des autres, aussi bien restitué. L’intime devient naturellement universel, entre isolement et ouverture. Une petite merveille.

Produits en 2009 et 2011 et disponibles en Import DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3