FICTIONS LGBT
IS IT JUST ME de J.C. Calciano : au-delà des apparences
Le drame de Blaine (Nicholas Downs) est bien connu de nombreux gays : il est « juste normal ». Pas de muscles, pas de physique de mannequin, juste un mec dans la trentaine, avec un joli petit charme. Autre soucis : il ne cherche pas de plans mais le grand amour. Le temps passe et la solitude le ronge de plus en plus alors que la communauté gay le désespère. A commencer par son colocataire, Cameron (Adam Huss), très sympathique mais obsédé par son physique, passant son temps à ramener des coups d’un soir à l’appartement. Rédacteur pour un journal gay, il finit par être moins drôle dans ses colonnes, met plus de temps pour écrire ses papiers au grand dam de son rédacteur en chef…
Un soir, alors qu’il s’énerve face à la stupidité de ses interlocuteurs sur un site de rencontres, un dialogue inattendu et intéressant commence. Un mystérieux voisin le séduit sans même qu’il n’ait pu voir sa photo. Leurs échanges sont passionnants, ils ont énormément en commun, finissent par s’appeler régulièrement. Début d’un amour virtuel à coup de confidences sur l’oreiller par téléphone interposé, de petites chansons (son interlocuteur est musicien et lui joue des morceaux à la guitare) et même de sexe. Blaine aurait-il enfin trouvé le petit ami idéal ? Quand son prétendant lui envoie sa photo, il remercie le ciel : le garçon, Xander (David Loren), est non seulement très mignon mais c’est aussi quelqu’un qu’il avait repéré en traînant dans son café préféré. Ce scénario idéal va néanmoins être contrarié : alors qu’ils viennent de fixer leur premier rendez-vous dans le monde réel, Blaine découvre que sans s’en rendre compte il parlait à Xander avec le profil de son colocataire, Cameron…
Par le biais d’une comédie romantique légère, le réalisateur J.C. Calciano (également auteur du sympathique eCupid) explore le thème de l’importance de l’apparence chez les gays. Plus encore que les hétéros, les homos subissent en effet au quotidien le poids des normes de beauté. Le personnage principal ne souffre pas d’un physique disgracieux, il est juste « dans la moyenne ». Mais il le vit déjà comme un drame en soi. Comment trouver le bonheur quand partout dans les soirées ou sur les sites les garçons les plus craquants n’ont d’intérêt que pour les beaux gosses qui passent tout leur temps à la salle de sport ? Comment faire confiance quand la majorité cherche avant tout à s’amuser, faire la fête et forniquer ? Sorti avant le phénomène Grindr et autres applications, Is it just me ? raconte avec un humour féroce le calvaire d’un jeune trentenaire qui n’aspire qu’à faire la rencontre d’un mec bien dans une jungle de plans et de profils narcissiques où les torses s’exhibent.
Au détour d’une scène, on assiste à un petit moment de cruauté ordinaire : Blaine commande un café. Le barman le traite avec nonchalance avant d’être plein de douces attention pour le client suivant. Car ce dernier est juste plus mignon à ses yeux. A fleur de peau, Blaine espère pouvoir tout de même plaire un jour à un homme grâce à son petit charme et sa personnalité affirmée. Mais sans s’en rendre compte, ou vouloir l’assumer, il agit lui-même comme tout le monde : quand il découvre la photo de Xander, il apparaît soulagé. Celui à qui il a parlé pendant des jours est sexy, ouf ! Le film porte avant tout sur cette difficulté pour chacun de se détacher des apparences, de voir plus loin qu’un fantasme physique. Les diktats des magazines gays et autres publicités riches en grands mecs sculptés renvoient ceux qui ne sont pas nécessairement dans le moule à une violente dépréciation d’eux-mêmes. Blaine se perçoit ainsi comme un véritable boulet, pas du tout sûr de lui, alors qu’il est un joli garçon… L’un des personnages secondaires, un homme dans la fin de sa cinquantaine, permet aussi d’évoquer subtilement l’ostracisation des mecs plus âgés, qui préfèrent s’enfermer chez eux plutôt que de se risquer au rejet lors des soirées où l’on a l’impression qu’il faut être jeune et bien foutu pour exister.
Histoire de pousser à son paroxysme sa thématique, J.C Calciano introduit dans son scénario un fâcheux malentendu. Blaine et Xander tombent doucement amoureux via le virtuel mais Blaine utilisait sans le savoir le profil de son colocataire Cameron, au physique de cover boy. Commence alors une danse à trois compliquée, entre affrontements, mensonges et ambiguïtés. Si le film souffre d’une mise en scène pauvre digne de sitcom basique, les qualités d’écriture et le charme du casting rendent cette comédie plus profonde qu’elle n’y paraît extrêmement divertissante et attachante. Entre désillusions et leçons de vie, Is it just me ? se mue délicatement en un feel good movie dont on ressort avec le sourire.
Film produit en 2010