FICTIONS LGBT
JE SUIS À TOI de David Lambert : seconde chance
Argentine. Pour survivre, Lucas (Nahuel Pérez Biscayart) monnaie ses charmes avec des hommes ou exhibe son corps dans des plans cam tarifés. Au détour d’un chat, il sympathise avec Henry (Jean-Michel Balthazar), un belge gay vieillissant et bedonnant, souffrant de solitude. Ce dernier lui propose de venir vivre chez lui, dans son petit village de Belgique. Il lui promet une vie plus confortable, avec sa propre chambre et des perspectives d’avenir.
Lucas, prêt à tout pour s’en sortir, débarque. Mais sur place, c’est la désillusion : Henry lui a menti, il entend faire chambre commune avec lui et disposer à son aise de son corps. Pris au piège, l’escort se retrouve aussi à travailler gratuitement pour son hôte dans sa boulangerie. Cet esclavagisme moderne et pervers à tous les niveaux va pourtant finir par évoluer. Henry se prend d’affection pour Lucas qui se rebelle et le confronte à la monstruosité de ses actes.
Alors que le boulanger le présente à tout le monde comme son petit copain, Lucas rêve de se rapprocher d’Audrey (Monia Chokri), jeune et belle veuve qui élève seule son enfant et qui travaille aussi dans la boulangerie…
Après Hors les murs, David Lambert livre une nouvelle variation autour des thèmes de la passion et de la possession. A la fois plus maîtrisé et plus hybride, Je suis à toi a la grande qualité de déjouer tous les clichés et de ne jamais aller là où on l’attend.
Le début est très sombre. Après avoir aperçu Lucas faire son show en webcam, on suit sa rencontre avec Henry qui s’apparente à un véritable cauchemar éveillé. Il se retrouve prisonnier de cet homme peu avenant, vicieux, qui le traite comme sa chose, l’exploitant aussi bien sexuellement que professionnellement parlant. Il profite de sa vulnérabilité pour le manipuler à sa guise, le menace… Présenté comme un ogre, l’homme n’est pourtant pas si monstrueux : il cache une profonde détresse affective, un côté nounours. Petit à petit, malgré une situation initiale perverse, Lucas et Henry s’apprivoisent, non sans collisions.
Alors qu’il tombe amoureux de Lucas, qu’il commence à l’envisager enfin comme une personne et non plus comme un objet, Henry renoue peu à peu avec son humanité. Mais son cœur va être mis à rude épreuve : l’escort boy, qui est hétéro et n’a été avec des hommes que pour l’argent, tombe progressivement amoureux d’Audrey, son employée. Cette dernière apparaît distante, froide, dans un premier temps. Elle cache simplement les fêlures d’un deuil, la peur de s’ouvrir à nouveau. Au fil des jours, les deux jeunes « recrues » d’Henry se rapprochent et commencent une belle histoire. Mais Lucas peut-il vraiment répondre aux attentes de cette mère célibataire ? Pour lui plaire et gagner sa confiance, il essaie de s’émanciper, gagnant de l’argent en se prostituant avec des hommes…
Si le film est souvent dur et n’hésite pas à regarder droit dans les yeux ses protagonistes ambivalents, il s’éclaircit progressivement et témoigne d’une véritable finesse psychologique. Les personnages sont complexes, touchants dans leurs imperfections, leur difficulté à s’accrocher à une vie qui s’apparente à un parcours du combattant. Mais si la nature peut être cruelle, chacun peut aussi se révéler être une bonne surprise. En faisant l’effort de se comprendre, de s’accepter, les membres de ce triangle amoureux pour le moins inattendu, bizarre, compliqué, vont dépasser toutes les barrières. Il y a quelque chose d’assez bouleversant dans la façon qu’à David Lambert de croire profondément en l’autre, à la seconde chance. Contre toute attente, Je suis à toi se révèle être un film de tolérance, ouvert, plein d’espoir. Tout le malheur du monde peut s’abattre sur ses anti-héros, rien n’est pourtant jamais perdu pour eux.
Disposant d’une écriture et d’une mise en scène à la fois inspirées, maîtrisées et libres (un petit passage dansé qui vient dynamiter le côté « réalisme social », une love story très attachante qui émerge des ténèbres, des émotions changeantes…), ce second long-métrage courageux et moderne (l’homosexualité banalisée dans un bled baumé / une ouverture d’esprit rafraîchissante de la part du personnage féminin sur la prostitution) bénéficie aussi et surtout d’un excellent trio d’acteurs. Abouti, surprenant, intelligent, Je suis à toi laisse au spectateur son empreinte toute particulière, donne matière à réfléchir, à avancer. Beau moment de cinéma.
Film sorti en 2015 et disponible en VOD