FICTIONS LGBT

J’EMBRASSE PAS de André Téchiné : « monter à Paris »

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Pierre (Manuel Blanc) quitte non sans euphorie sa campagne pour tenter sa chance à Paris. Joli garçon, il espère percer dans le cinéma et s’inscrit à quelques cours d’art dramatique. Mais son seul contact sur place est Evelyne (Hélène Vincent), une femme d’âge mur qu’il avait rencontré alors qu’il officiait comme brancardier à Lourdes. Cette dernière est à l’évidence gênée lorsqu’elle le voit débarquer devant son palier, cherchant de l’aide. Légèrement froide, elle lui permettra tout de même de trouver un petit boulot de plongeur dans une cuisine.

En attendant mieux, Pierre dort dans une modeste chambre d’hôtel. Un collègue de travail, Saïd (Roschdy Zem), l’invite à passer le réveillon en sa compagnie. C’est là qu’il fait la connaissance de Romain (Philippe Noiret), homosexuel vieillissant et cultivé qui le prendrait bien sous son aile tout en mettant à disposition ses contacts à la télévision. Mais Pierre, très fier, refuse de devenir son protégé et s’enfuit alors qu’il l’entraîne près d’une aire où campent de jeunes prostitués.

C’est dans les bras d’une Evelyne troublée que Pierre trouvera réconfort et soutien. Toutefois, alors que cette femme frustrée, victime d’une mère que l’on devine très castratrice, finit par tout confondre (elle permet à Pierre de loger gratuitement dans un petit studio en bas de chez elle et lui glisse une enveloppe pleine de billets lorsqu’il perd son job), le jeune homme prend à nouveau la fuite. Il veut être libre, ne rendre de comptes à personne. Mais en refusant les mains tendues qui se présentent à lui, aussi dangereuses ou perverses puissent-elles être, il se retrouve seul et sans argent.

Le jeune parisien d’adoption songe alors à la prostitution, recroise Romain puis s’amourache d’une prostituée, Ingrid (Emmanuelle Béart). En l’espace de quelques mois, ce garçon naïf et plein d’espoir va être amené à voir de nombreuses illusions se briser…

j'embrasse pas andré téchiné

Les films sur les jeunes gens « montant à Paris » ont toujours quelque chose de fascinant. La capitale française a ce pouvoir de générer bien des rêves, des espoirs, d’être associée à des fantasmes de réussite et de liberté. Mais une fois sur place, on a vite fait de réaliser à quel point ce lieu magique peut aussi être hostile. Pierre, le regard lumineux, l’air doucement insolent, arrive sans attache, avec le désir simple de se trouver, de se réaliser. Sa seule connaissance est Evelyne, qui le repousse dans un premier temps, laissant émaner une sorte d’avertissement : ici ce n’est pas une bourgade, les promesses sont vite oubliées et on ne peut pas se fier à n’importe qui. Pierre le comprend bien et reste toujours un peu sur la défensive. Séduisant et vif, il veut profiter de la vie sans avoir de compte à rendre à personne. L’idée même de tomber amoureux le fait sourire : il n’en a pas envie. Mais si tout le monde semble le désirer, Pierre se trompe s’il croit qu’il est en pleine possession de ses moyens et que par sa fougue et son énergie il obtiendra tout ce dont il a envie.

C’est le portrait d’un garçon qui voudrait jouir sans supporter les à côtés, profiter sans sentir qu’une contrepartie est requise, devenir acteur sans avoir besoin de tergiverser des heures sur le sens d’un texte… Il veut tout, tout de suite. Et quand les choses ne vont pas dans le sens qu’il aimerait, il part. Impulsif, il se retrouve alors sans rien, se prostitue en imposant ses propres règles… Les choses basculent quand il fait plus ample connaissance avec Ingrid, une prostituée soumise et éprise de son souteneur violent. Pierre tombe amoureux pour la première fois et perd pied. Son envie de vivre, son impatience, vont lui jouer de sales tours.

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J’embrasse pas défile à toute vitesse, traduisant le sentiment d’urgence qui habite son jeune héros à la fois craquant et ambivalent. Beaucoup de rencontres, de désir, de claques. Petit à petit, dans ce ballet de cinéma extrêmement élégant, les certitudes s’envolent et les illusions se brisent. Le regard de Pierre, un brin naïf lors de son arrivée, s’obscurcit. La frustration, l’échec, la colère, changent son visage. Si le scénario, co-écrit avec Jacques Nolot et Michel Grisolia, ne manque pas d’intelligence ni de dialogues savoureux, ce long-métrage d’André Téchiné vaut aussi beaucoup pour son atmosphère, son rythme soutenu, son côté non linéaire. Ou le plaisir d’être face à un écran et de se dire que tout est possible d’une scène à l’autre. La mise en scène est sublime, parsemée de passages chantés joliment décalés. Et les acteurs sont magnifiques. L’un des meilleurs films de son auteur.

Film sorti en 1991 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3