FICTIONS LGBT
JONATHAN AGASSI SAVED MY LIFE de Tomer Heymann : mirage du x
Les amateurs de porno gay connaissent bien Jonathan Agassi, ultra bombe propulsée au rang de star du x par le studio du réalisateur Michael Lucas à travers des films comme Men of Israel, Trapped in the game ou The last day. A l’écran : un homme sûr de lui, viril, fantasmatique. Mais loin des plateaux de tournage, le rêve et le sexy ne sont pas forcément au rendez-vous. Pendant plusieurs années, le réalisateur Tomer Heymann a suivi Jonathan Agassi au plus près et en révèle un portrait bouleversant.
« Jonathan Agassi saved my life » titre de ce long-métrage documentaire est à prendre avec des pincettes. Le performer clame en effet à qui veut l’entendre en début de film que sa carrière dans le x lui a sauvé la vie, lui qui a grandi dans une famille modeste et déchirée entre l’Allemagne et Israël. Grâce aux productions adultes, il a pu gagner de l’argent, attirer l’attention de dizaines de milliers de personnes, voyager, gagner en assurance. Pour lui, Jonathan Agassi (son alias pornographique) est un personnage qui lui donne de la force. Quand il entre dans sa peau il se sent puissant, sûr de lui, désiré.
Devenu un grand nom de l’industrie très vite, Jonathan Agassi regarde avec fierté ses séances photos et ses films. Il visionne même avec sa maman, dont il est très proche, les scènes non explicites. Cette mère ouverte d’esprit à l’amour inconditionnel est au centre du film. Jonathan n’a visiblement aucun secret pour elle, l’appelle régulièrement, la tient au courant de ses voyages et projets. Il va même jusqu’à défiler pour elle dans ses tenues les plus extravagantes pour lui demander son avis. Elle ne le juge jamais, elle est toujours là pour le complimenter et le rassurer. Et lui dès qu’il le peut la couvre de cadeaux ou l’emmène faire du shopping car il aime jouer à être « son homme ».
La relation mère-fils très forte s’est construite dans la douleur. On apprend que l’enfance de Jonathan Agassi était loin d’être rose : victime de ses camarades de classe car jugé trop efféminé, il a été gravement persécuté. Et son père, absent la majorité du temps, ne l’a pas du tout aidé. Au contraire : ouvertement égoïste et irresponsable, il a abandonné sa femme et ses enfants et a souvent témoigné d’une réelle homophobie envers Jonathan. Cette figure paternelle sombre hante la pornstar.
Après une enfance et une adolescence compliquée, le mythe Agassi a pris forme. Loin du garçon fragile et efféminé, Jonathan s’est bâti un personnage de mâle alpha plein d’assurance et est devenu un objet de fantasme. Une belle revanche qui hélas ne l’aide pas forcément à s’aimer davantage ou à se sentir mieux. Les tournages de films lui rapportent de l’argent mais pour vraiment bien vivre il effectue des shows explicites dans des boîtes de nuit ou fait de l’escorting. Pour se donner du courage ou fuir ses angoisses, il se drogue et prend des produits de plus en plus fort.
C’est peu dire qu’on se laisse émouvoir par Jonathan Agassi ici. Tomer Heymann le suit dans son intimité la plus totale et dévoile ses failles et fêlures les plus personnelles. Il apparaît alors comme un enfant en pleine détresse essayant de jouer à l’homme pour rassurer les autres et surtout lui-même. La vérité, c’est qu’au moment du tournage il est en roue libre et ne sait plus quoi faire pour être bien dans ses pompes. Le film fait l’effet d’un grand cri du coeur, un appel de détresse. Excepté l’amour maternel, Jonathan Agassi n’arrive pas à trouver des garçons qui lui apportent une affection sincère. Alors il se contente des bras de ses clients.
Le regard sur le monde du porno n’est pas tendre : l’industrie est montrée comme un univers de faux semblants où ceux qui sont dans la lumière sont en fait souvent dévorés par ceux qui regardent. Les modèles ont l’illusion d’avoir le pouvoir mais la vérité est que toutes ces performances sexuelles qu’on leur demande les pousse souvent à se shooter pour tenir la distance. Jonathan Agassi n’a qui plus est pas eu de chance en tournant principalement pour Michael Lucas, connu pour ne pas être du tout un tendre.
La difficulté et le trouble des relations entre un gay et ses parents, les répercussions d’une homophobie lourdement subies, le quotidien vertigineux d’un travailleur du sexe, la difficile réconciliation avec soi-même : Jonathan Agassi saved my life parle de tout ça en même temps qu’il est un métrage universel qui raconte à sa façon comment de nombreux jeunes gays en manque d’amour, de tendresse et de confiance en eux tombent dans le piège tristement irrésistible de la drogue. Fort.
Film produit en 2018 et présenté au Festival Chéries Chéris 2019