FICTIONS LGBT
KATER (Tomcat) de Händl Klaus : et tout bascule…
Autriche. Andreas (Philipp Hochmair) et Stefan (Lukas Turtur) forment un couple fusionnel, amoureux, complice. Ils travaillent ensemble dans un orchestre et partagent la même passion pour la musique classique, habitent une superbe maison avec un grand jardin. Ils sont aussi les papas d’un adorable chat, Moïse, auquel ils donnent énormément d’affection.
Les semaines défilent, c’est l’été, il fait beau, les amis viennent diner ou participer à des garden parties. Ce climat idyllique, au coeur duquel la libido est au beau fixe, bascule lorsque Moïse disparait brutalement. Dès lors, entre les deux compagnons, c’est la guerre des nerfs. L’un accuse l’autre au point de ne plus pouvoir le toucher et ce dernier sombre dans une dangereuse dépression. Quand le couple, havre de paix, devient le territoire d’une violence psychologique vertigineuse…
Lauréat du Teddy Award du meilleur film à la Berlinale 2016, Kater (qui a aussi circulé sous le titre Tomcat) est aussi généreux et solaire dans sa première partie, montrant le quotidien d’un couple gay heureux et de leur chat, que retors dans sa seconde, souvent insoutenable, éprouvante. Ou le bonheur bourgeois qui vole en éclat suite à un malheureux accident qui fait basculer le quotidien dans le glauque. Avec une réalisation précise, milimétrée, Händl Klaus nous montre à quel point le couple et le lien aux autres peuvent s’apparenter à de véritables montagnes russes. Tout ce qui faisait la joie du couple formé par Andreas et Stefan dans le premier chapitre se muera en coup de couteau ou en source de malaise dans le second.
Il y a quelque chose qui relève du caractère de l’implacable dans cette façon de nous montrer un ménage charnel, sensuel et lumineux pour mieux le faire plonger en plein enfer. Andreas et Stefan se dévoilent comme un duo qui a besoin d’éléments extérieurs pour communiquer et fusionner : leur chat, tel un enfant, est un lien permanent entre eux / la musique, comme un doux préliminaire, circule en permanence, au travail ou dans l’intimité/ leurs amis, qui leur permettent de faire rayonner leur amour en société, boostent souvent leur libido. Filmé comme un personnage à part entière, l’adorable chat Moïse va poser son empreinte sur tout le métrage, jusqu’à la folie. Alors qu’il disparait, il ne se contente pas d’hanter ceux qui furent ses heureux propriétaires : il est le déclencheur de tous leurs maux et le révélateur de leurs failles. On pense aimer quelqu’un pour la vie, être fait pour lui, et un accident vient tout saborder, transformant la complicité en adversité, le désir en peur.
A la fois ultrasensible et frontal, le regard du réalisateur ne nous épargne rien de la douleur des personnages, et en particulier de celui de Stefan, campé par un Lukas Turtur absolument bouleversant. Kater nous raconte et nous fait vivre, ressentir, ce terrible moment où le lien se brise, où l’autre nous échappe et nous renvoie une image de nous-mêmes de l’ordre du dégoût. Suffocation de mise alors que la communication est rompue. Faut-il persister, rester et se battre en se disant que cela en vaut la peine ou arrêter les frais ?
Porté par une mise en scène élégante et une bande-originale gracieuse et toujours à propos (au milieu des pistes classiques émerge cette superbe chanson du couple, symbole d’un dialogue encore possible, interprétée par Annie Ross et Pony Poindexter, « All Blues »), ce long-métrage qui creuse très profond observe avec une acuité rare le couple et ses multiples visages, entre tendresse et violence. Marquant.
Film produit en 2016 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen