FICTIONS LGBT
KEEP THE LIGHTS ON de Ira Sachs : tel que tu es
New York. Erik (Thure Lindhardt) est un réalisateur d’une trentaine d’années qui traîne un peu la patte. Issu d’un milieu relativement aisé, il prend son temps pour mettre en chantier un projet de documentaire sur l’artiste trop méconnu Avery Willard. Un soir comme les autres, il cherche un plan sur une ligne audiotel gay. Ainsi rencontre-t-il Paul (Zachary Booth), beau blond imberbe, lisse et passif. Le courant passe, la nuit est chaude. Une fois le plan achevé, Paul le prévient qu’il a une copine, qu’il ne faut pas qu’il se fasse d’illusions. Erik s’accroche, ils se revoient et quelques mois plus tard sont en couple, amoureux. Paul est avocat, intelligent, sensible et s’intéresse aux passions d’Erik. Ensemble, ils vont au musée, se comprennent, partagent une véritable complicité. Mais très vite l’addiction de Paul pour la drogue devient un problème. Accro, il en vient à s’autodétruire, à faire n’importe quoi aussi bien dans sa vie professionnelle que sentimentale. Fou amoureux, Erik tente de l’aider. Mais pourra-t-il vraiment le sauver ? En dix années de bonheur, de crises, de ruptures et de retrouvailles, voici le récit d’une passion avec tout ce que cela comporte de beau et de douloureux…
Le réalisateur Ira Sachs s’est inspiré de son vécu, d’une rupture douloureuse en particulier, pour donner naissance à Keep the lights on. Quand une histoire d’amour entre hommes tourne au drame intime… Le début du film est envoûtant : New York la nuit, l’envie d’une rencontre charnelle, trouver son plan du soir pour se défouler et oublier un peu sa solitude. Erik a la voix chaude et le regard presque menaçant : on dirait qu’il va manger le jeune Paul tout cru. C’est pourtant ce dernier qui va le dévorer un peu plus chaque jour. Coup de foudre, passion naissante : Erik devient accro à ce beau garçon qui lui rappelle que l’amour existe. Charme de NY City, magnifiée par des cadres élégants et lumineux : on s’envole avec les deux amoureux même si un je ne sais quoi (peut-être la musique à la fois douce et terrible d’Arthur Russell) nous fait penser que le bonheur qui s’affiche ne pourra pas durer bien longtemps.
Si Erik est accro à Paul, Paul, lui, est accro au crack. Il en prend d’abord pour se détendre un peu, pour s’abandonner un peu plus le temps d’une partie de jambes en l’air, puis c’est l’escalade… Même s’ils emménagent ensemble, les deux hommes n’échappent pas au pire : une certaine solitude à deux. Le temps passe, les points d’interrogations et les mensonges s’accumulent. Séparations, plus ou moins brèves, plus ou moins intenses, première cure de désintoxication forcée pour Paul, errance pour Erik… La musique de l’amour est toujours là malgré tout. Malgré les infidélités, les trahisons, les paroles ou actes blessants : la flamme ne s’éteint pas.
Le titre du film est particulièrement beau. « Keep the lights on », comme pour dire « N’éteins pas la lumière, je veux te voir, je te vois, tel que tu es, et je t’aime ». Après tout, c’est bien ça l’amour : accepter l’autre avec ses failles et tenter de construire, de grandir ensemble. La fragilité de Paul, son côté homo un peu refoulé, faible, sont autant de choses qui le rendent si attachant, si beau, aux yeux de son partenaire. Mais on a beau aimer quelqu’un, on ne peut pas toujours le changer. Et quand ses failles finissent par nous dévorer à notre tour, c’est parfois notre propre vie qui est en danger. Erik a-t-il vraiment les épaules pour accepter les va-et-vient, les incartades de son compagnon jusqu’à la fin de ses jours ? S’il peut aimer Paul inconditionnellement, peut-il être avec lui sans risquer de finir par y laisser sa peau, son propre bien-être ?
Les regards des deux acteurs principaux semblent contenir tout l’amour et tout le désespoir du monde. Et s’ils souffrent, et qu’on souffre avec eux, la beauté est pourtant partout (beauté des corps, des intérieurs qui nous semblent étrangement familiers, beauté et magie de ces instants où tout fout le camp mais où les bras de l’autre se tendent comme un refuge). Si l’amour ne dure peut-être pas toujours, il laisse des empreintes, une trace éternelle. Comme le travail d’un artiste qui nous bouleverse, comme cette culture underground que l’on s’approprie tel un doux secret. Film indépendant / arty par excellence (et dans le meilleur sens du terme), Keep the lights on est aussi un hommage à ces artistes queer et confidentiels (le sujet de documentaire sur Avery Willard, la présence de James Bidgood au générique, Todd Verow qui fait de la figuration…). Un film à la fois personnel, référencé et universel, qui parvient à matérialiser sur l’écran la force et le poison des sentiments.
Film sorti en 2012 et disponible en DVD et VOD