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L.A TOOL & DIE de Joe Gage : un chemin vers l’amour

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Une voix à la radio : « You don’t know what it is to love ». Alors que les stations changent, on voit la route qui défile, les arbres. Une musique assez mélancolique, avec de la trompette, se lance. A l’écran des petites annonces pour de la main d’oeuvre puis des paysages désertiques, un brin fantomatiques. Puis on se retrouve au cœur d’une orgie.

Multitude de corps, la caméra ne se pose que sur un visage, celui de Jim (Michael Kearns, acteur « tradi » qui faisait là un caméo improbable). Ce dernier exécute une gâterie passionnée puis s’interrompt pour s’adresser, regard face caméra, à son ami Hank (Richard Locke). Entre deux mouvements, il continue de lui parler. Son partenaire ayant fini, il invite Hank à se joindre à l’action. En fond sonore, musique et gémissements très prononcés. La mélodie se fait plus lubrique, Jim commence à chauffer avec des mots crus celui qu’il supplie de le rejoindre. Puis il se laisse encercler par de nombreux membres pour une grande explosion. On voit Hank assister à la scène, enlevant ses lunettes, affichant un grand sourire. Ainsi s’ouvre le dernier chapitre de la « Working Man Trilogy » de Joe Gage, intitulée L.A. Tool & Die. On retrouve donc Richard Locke dans le rôle principal , prêt pour de nouvelles aventures torrides. Si le premier volet était celui de l’initiation, le second de l’amitié, ce troisième opus est celui de l’amour. Moins expérimental que les précédents, L.A. Tool & Die en reprend tout de même les principales marques de fabriques : de nombreuses digressions très stimulantes, le plaisir d’être sur la route, la sexualité entre hommes virils.

La première scène présente un hétéro, Vic, qu’un collègue pousse à aller visiter un bar où des hommes vont pour s’offrir du bon temps. Vic tente le coup mais est très mal à l’aise une fois sur place. Musique disco, regards en coin : la tension sexuelle est de mise. Dans le bar se trouve Hank, accompagné d’un ami. Son regard s’attarde sur un beau moustachu à l’air timide, Wiley (Will Seagers). L’homme lui rend son regard puis se dirige vers la sortie. Hank le suit. Sur le parking, dans sa voiture, Wiley est assis sur son siège, hésitant, à côté de son chien. La musique qui passe à la radio est un morceau rock plutôt romantique. Hank vient le draguer ouvertement mais Wiley se défile. Alors que Hank lance « Another time », le beau moustachu lui annonce qu’il part le lendemain pour Los Angeles. Ils se laissent. Hank est frustré et regrette en voix off de ne même pas avoir demandé le nom de ce bel inconnu. Après avoir mis son chapeau de cowboy, Wiley reprend la route, regrettant déjà de ne pas avoir cédé à la tentation, se répétant : « You’re a fool ».

De retour au bar, Hank recroise le chemin de l’hétéro Vic dans les toilettes. Ce dernier ne manque pas de faire part de son malaise et dit avoir envie de vomir en vue de ce qui se trame dans ce lieu de débauche. Le pote de Hank est également présent. Alors que Vic cherche la bagarre, Hank lui met une bonne raclée. Le bruit de ses coups sont associés à ceux d’un flipper. L’hétéro moralisateur apprend à ses dépends que les gays qu’il exècre savent se défendre et qu’ils sont aussi des hommes qui peuvent cogner dur. En parlant avec son ami, Hank apprend que l’homme qui lui a tapé dans l’oeil s’appelle Wiley et qu’il est parti à la recherche d’un emploi dans une sorte d’usine appelée « L.A. Tool & Die ». Il décide de prendre la route pour le retrouver.

La nuit, sur la route, Wiley s’arrête en apercevant une jeune femme qui semble perdue. Elle répond qu’elle n’a pas besoin de son aide. Quelques minutes plus tard, une autre voiture, neuve et à l’évidence de plus haut standing, s’arrête à son tour. Au volant : un beau blond, Fred (Casey Donovan). Elle lui demande s’il peut la prendre à bord, il accepte. Alors qu’il lui indique qu’il vient d’acheter son véhicule, la fille le menace avec un revolver. Elle le fait sortir de la voiture, l’attache avec des menottes autour d’un arbre et part avec sa caisse. Seul au beau milieu de la forêt, Fred angoisse. Un homme s’approche. Il ne parvient pas à voir son visage, nous non plus. L’homme saute sur l’occasion : un beau blond BCBG offert au milieu de nulle part… Fantasme interdit de la contrainte : Fred se fait arracher ses vêtements et est saisi. De celui qui lui saute dessus, il ne parvient à voir qu’un bout de sa veste en cuir. La musique est faite de guitares particulièrement lubriques. Après avoir fini l’homme le détache et ils se mettent à discuter, comme des amis…

Le lendemain, on retrouve Wiley au bord d’un lac. Son chien se balade et lui jette des cailloux dans l’eau en se remémorant sa conversation gênée de la veille avec Hank. Le lac semble être une aire de rencontre. On voit sur des murs des propositions de rendez-vous. Un sexe est perceptible sur le petit texte érotique inscrit sur une sorte de cabanon. Puis surgit un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il observe un couple hétéro en train de s’amuser dans le cabanon. La caméra suit avec désir l’action et le visage du beau mâle hétéro, fantasme en mouvement. Après la jouissance, alors qu’il s’apprête à regagner sa voiture, l’homme remarque la présence du jeune voyeur. Il jette vers lui le préservatif qu’il vient d’utiliser. Le préservatif était à l’époque plus un objet de fétiche qu’autre chose, le film ayant été tourné juste avant que le Sida ne vienne gâcher la fête… L.A. Tool & die fait donc partie des dernières productions dites « pre-condom » et est l’un des premiers métrages à introduire une capote. Le jeune twink récupère la capote et se caresse avec avant de la lécher (!). Les bruits de l’eau et de la nature ornent le moment solitaire en plein air du garçon. Ponctuellement, par bribes, lui reviennent des images de l’hétéro dont la vision l’a tant stimulé. Ces flashs sont accompagnés d’un son de radio qui finit par résonner, comme une obsession.

Nouvelle journée sur la route pour Wiley. A court d’essence, il s’arrête dans une station. Pendant que le pompiste fait son job (à noter que le réservoir d’essence est filmé de l’intérieur s’apparentant à un trou de Glory Hole) , Wiley va pisser un coup. Les photos x affichées au mur lui donnent envie de s’offrir un petit moment de détente. Assis sur son trône, il se met donc à se caresser. Le pompiste finit par l’observer via un trou dans le mur. Et ce dernier de faire office de Glory Hole. Wiley se fait d’abord joueur, approche son matos mais se refuse à le donner. Le pompiste bave sérieusement. Il finira par obtenir ce qu’il désirait si intensément.

Après cette agréable pause, Wiley poursuit son chemin vers L.A. Tool & Die. Il passe devant un terrain de course. A côté de ce terrain se trouve un gymnase dans lequel un coach (Dan Pace) ainsi que le père d’un jeune sportif sont en train de s’entretenir. Dans le bureau du coach, le père fait part de ses inquiétudes. Le coach se fait rassurant puis curieux, demandant au papa si son fils n’est pas dans une période de grande excitation. Le daddy, qui au détour d’une phrase mentionne qu’il est divorcé, se laisse entraîner vers une conversation assez chaude puis se soumet à un coach qui ne le ménagera pas. Dirty talk, étreinte sur le bureau alors que résonnent le bruit des applaudissements du public à proximité , visiblement en train d’assister à une haletante compétition. Après l’orgasme le père et le coach se charrient.

C’est au bord de l’eau, pour un nouvel arrêt, que nous revenons à Wiley. En fond sonore : un air d’harmonica assez triste. Des bruits d’avion, déjà perçus auparavant, se font envahissants. Wiley se souvient de l’armée, de la guerre, durant laquelle il a perdu un camarade auquel il était attaché plus que de raison. Il pleure en se remémorant ces douloureux souvenirs. Non loin de là, Hank continue d’essayer de le retrouver. Il est contraint de devoir s’arrêter et de dormir dans sa voiture car les routes sont encombrées. Endormi, Hank est réveillé par la lueur d’une lampe torche. Il sort de son véhicule et découvre un camping car. Joie : en ouvrant la portière, il voit apparaître une orgie où se mêlent des mâles de trente et quarante ans. Tout le monde s’éclate dans la bonne humeur. 

Le lendemain, Wiley arrive à L.A. Tool & Die où il souhaite postuler. Il assiste au crash de la voiture d’un tout jeune ouvrier qui venait de se faire embaucher. Le jeune homme est secouru par l’un de ses supérieurs qui lui propose d’aller se détendre en buvant une bière. Alors que Wiley se dirige vers la salle d’attente pour effectuer son entretien d’embauche il réalise que Hank est là lui aussi, qu’il l’a suivi. Ils échangent un sourire complice.

Pas de sourire mais beaucoup de désir entre le jeune ouvrier et son supérieur qui l’a invité chez lui pour qu’il évite de devoir dire de suite à son père qu’il a endommagé sa voiture. Le supérieur prend les devants, se dandinant dans son peignoir mettant en avant son manche. Le jeune homme n’y résiste pas longtemps et finit par se donner pour une nuit torride. Le jour suivant, au travail, il échange des regards amusés avec celui qui lui a donné tant de plaisir. Nous découvrons que Hank et Wiley ont tous les deux été embauchés, on les regarde effectuer leur travail. La musique en fond est celle qui servait de générique aux deux précédents volets de la « Working Man Trilogy ». Joe Gage sublime le travail de main d’oeuvre, ces hommes virils qui s’investissent avec passion dans leur travail trop souvent dévalué.

Pendant la pause déjeuner, Hank invite Wiley à se joindre à lui pour le week end. Il compte arrêter son travail pour retaper un cabanon qu’il vient d’acquérir. Wiley essaie une nouvelle fois de décliner… On retrouve plus tard Hank dans un immeuble, avec le contrat pour son cabanon. Il est placé juste à côté des toilettes. Il y voit entrer l’homme d’entretien puis un bureaucrate, puis un ouvrier. A l’intérieur, les trois hommes se mélangent, oubliant les convenances et barrières sociales. Observant le spectacle par la fenêtre, Hank finit par se joindre à eux. La musique est assez délicate, enivrante. Puis soudain pénètre dans les toilettes Wiley. La musique se fait grave alors que son regard croise celui de Hank en pleine action. On sent une tension, que quelque chose de fort est en train de se jouer. Wiley va-t-il prendre la fuite et juger Hank ? On le sent surpris, désarçonné. On le sent aussi excité face à la vision de ces hommes. Il se joint finalement au groupe et la musique devient lubrique. En sortant des toilettes, Wiley décide de suivre Hank en week end.

Arrivés devant le cabanon, les deux hommes constatent le piètre état de ce dernier. Hank réalise qu’il s’est fait arnaquer et est fou de colère. Wiley tente de le calmer. A l’arrière de leur véhicule ils partagent une discussion en se caressant tendrement. Hank dit ne pas savoir quoi faire, Wiley lui assure alors qu’il n’aura pas de mal à être ré-embauché car il est « parfait pour le job ». En parlant de ses qualités au travail, le moustachu timide lui déclare sa flamme. Hank lui confie être amoureux de lui puis allume des bougies. Ils s’embrassent et font l’amour tendrement sur une musique très romantique. Une dernière scène quelque peu inattendue, sensuelle, tendre. Le sexe filmé avec le cœur.

Alors que le petit jour se lève, Wiley traîne dehors, au milieu de la nature, et repense à son ami soldat disparu. La voix de ce dernier, qui résonne en lui, disparaît peu à peu, laissant place au bruit de Hank, en train de planter un panneau « For sale » pour son cabanon. Puis soudain, comme par magie, surgit du sol du pétrole. Les deux hommes se sautent dans les bras et réalisent que commence pour eux une vie d’amour sans avoir à se préoccuper de l’aspect matériel.

Ce dernier volet de la « Working Man Trilogy » se révèle moins audacieux sur le plan formel. On est en terrain connu, peu de passages surprennent même s’il faut avouer que la plupart des scènes sont bien exécutées et stimulantes. Joe Gage déploie une multitude de fantasmes sans opter nécessairement pour des décors originaux. Ce que ce dernier chapitre perd en fantaisie et en proposition visuelle, il le gagne en émotion. 

Les dernières scènes de L.A. Tool & Die sont particulièrement fortes, émouvantes. Avant que ne surgisse le Sida, deux hommes prennent le pari de s’aimer et de rêver d’un bonheur à deux, à leur façon. Une belle fin pour l’iconique personnage de Hank. Le long-métrage reste aussi en tête de par , une fois de plus, le travail minutieux sur le son. Impossible d’oublier les sonorités de la radio, accompagnant les personnages dans leurs errances et leurs torrides aventures.

Film produit en 1979

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3