FICTIONS LGBT
LA MEILLEURE FAÇON DE MARCHER de Claude Miller : refoulés
Eté 1960, une colonie de vacances pour garçons en Auvergne. Philippe (Patrick Bouchitey), fils du directeur, initie les gamins dont il est en charge au théâtre. Il ne s’entend pas particulièrement avec les autres moniteurs qui , contrairement à lui, préfèrent passer leur temps à jouer aux cartes et à se raconter des plaisanteries triviales plutôt que de regarder un film ou lire.
Un soir, lors d’une panne de courant, Marc (Patrick Dewaere), l’un de ses collègues, s’introduit brutalement dans sa chambre pour lui demander des bougies. Il le trouve déguisé en femme. Les jours qui suivent, Philippe craint que l’incident ne s’ébruite mais n’ose pas en parler directement avec Marc. Ce dernier s’amuse de sa gêne et entame un drôle de jeu sadique. Alors que Philippe lui demande de devenir amis et qu’il accepte, Marc lance que s’ils sympathisent, il devra lui rendre quelques « services », sans préciser de quoi il s’agit.
La relation ambiguë entre les deux hommes, entre affrontements, humiliations et non-dits, va perturber Philippe et l’amener à s’interroger sur qui il est vraiment…
C’est sans aucun doute l’un des films français les plus intrigants touchant au thème du genre et de l’homosexualité. La meilleure façon de marcher dresse le portrait de deux personnages masculins qu’à priori tout opposait (Philippe est hyper sensible, réservé, cultivé / Marc est brusque, grande gueule et ne s’intéresse à aucune forme d’art) et qui se rapprochent de curieuse façon, liés par un troublant secret. Marc surprend Philippe déguisé en femme. Il pourrait le raconter aux autres moniteurs et se moquer de lui, mais il n’en est rien. Embarrassé, Philippe tourne autour du pot, propose de devenir amis. Il est à la fois fasciné et apeuré face à cet homme solide que tout le monde admire. Marc est la virilité incarnée, contrastant fortement avec l’introversion et la fragilité de Philippe.
Philippe a une petite amie, avec laquelle il n’a jamais couché. Alors que Marc n’a de cesse de jouer avec ses nerfs, de le rabaisser, il demande à sa belle, Chantal (Christine Pascal) de le rejoindre au plus vite. Il tente de coucher avec elle, comme pour se convaincre que ce que Marc insinue (qu’il est homosexuel) est faux. Le rapport est avorté, il n’y arrive pas. Chantal semble tout à fait consciente de ce qui travaille celui avec qui elle partage une relation particulière. Elle dit vouloir connaître ses secrets, sa vérité, veut le soutenir, qu’ils s’aiment « comme des enfants ». Elle se satisfait de la pureté de leurs échanges. Qu’on se le dise : dans les années 1960, il n’est pas aisé pour les hommes d’assumer leur part de féminité et encore moins une hypothétique homosexualité. Cela explique l’attitude de Philippe, dans le déni, complètement perdu face à des sentiments qu’il refoule. Des sentiments qu’a deviné Marc, qui se plaît à le persécuter, à le confronter à sa lâcheté.
L’interprétation de Patrick Dewaere est indéniablement ce qui marque le plus dans cette œuvre à l’écriture et la mise en scène très subtiles. Son personnage est diablement ambivalent, imprévisible, inquiétant, d’un érotisme aussi ravageur que latent. Il instaure avec Philippe une relation perverse. Il en fait sa victime soumise, se plaît à jouer au chaud et au froid, à faire comme s’il le comprenait pour mieux lui dire qu’il le dégoûte. Tout en sous-entendus, il l’aguiche, le fait douter, tente de l’exciter pour mieux le rejeter et le terroriser.
Le réalisateur Claude Miller montre deux hommes dans le placard : l’un qui souffre de son absence de virilité, de son incapacité à dissimuler d’hypothétiques penchants; l’autre, hyper masculin, qui se sent menacé par la vulnérabilité d’un collègue qui l’attire malgré lui, générant refoulement et violence (psychologique surtout). Le décor et l’atmosphère supposément bon enfant des colonies de vacances contraste avec ce qui se passe. La tension sexuelle est à son comble. Philippe semble complètement dépassé par l’attitude de Marc qui le fait jouer malgré lui à un jeu pervers dont il ignore les règles et les limites…
Le thème de la sexualité est ici omniprésent. Bien que jeunes, les garçons de la colonie cachent dans leur chambre des revues adultes. Entre eux, les moniteurs aiment se raconter des blagues grivoises. L’un d’entre eux, Raoul (Michel Leblanc dans un joli second rôle), mal vu par ses collègues car très « lèche-cul » avec le directeur, se voit brimé car il est attrapé avec des magazines x… On devine la pression sur les épaules de Philippe dont le père, directeur de la colo où il travaille, ne plaisante pas avec les mœurs légères…
La meilleure façon de marcher évoque à la fois la difficulté de deux hommes à assumer ce qu’ils sont, leur affrontement teinté d’amitié et de désir, et le rapport plus ou moins honnête à la sexualité des gens qui les entourent (très fermé pour le directeur, très ouverte pour le personnage de Chantal). L’ensemble oscille entre dureté et douceur, sadisme et romantisme. Marquant.
Film sorti en 1976. Disponible en DVD