LA ROUTE SAUVAGE : le nouveau film émouvant d’Andrew Haigh

C’est ici un de nos réalisateurs préférés. Andrew Haigh n’a jamais déçu que ce soit par son documentaire « Greek Pete », le magnifique « Weekend » ou encore « 45 ans ». Comme son précédent long-métrage, pas de thématique LGBT ici (même si on peut supposer que son jeune héros, qui ne s’intéresse pas trop aux filles et évite soigneusement la question, puisse se révéler homo un jour) mais qu’importe : c’est du vrai et grand cinéma et on est servi en émotions.

Dans un petit village de l’Oregon, le jeune Charley (Charlie Plummer) vit seul avec son père Ray (Travis Fimmel) depuis que la mère de la famille les a quittés. Ray n’est pas toujours un homme facile ni stable (il a le chic pour se fourrer dans des mauvais plans ou accumuler les petites amies) mais il aime sincèrement son fils. Depuis quelques temps, Charley regrette de ne plus être en contact avec sa tante, son repère féminin, lui rappelant la mère qu’il n’a pas pu avoir. Il regarde avec nostalgie des photographies d’elle. La tante a disparu du tableau suite à une dispute avec Ray.

C’est le temps des vacances et Charley passe ses journées à traîner dans les alentours de sa petite bourgade. C’est comme ça qu’il se retrouve à rendre service à Del (Steve Buscemi) qui élève et dresse des chevaux pour les faire participer à des courses. Dans l’écurie, il y a Lean on Pete. Un cheval qu’on dit têtu et légèrement en fin de course. Charley est immédiatement pris d’affection pour lui et va finir par travailler avec Del afin d’être au plus près de l’étalon. Quand un accident arrive à son père, Charley se dédie complètement à Lean on Pete qui devient son seul ami. Mais Del, son propriétaire, n’est pas du genre tendre avec les chevaux qui ne gagnent pas des courses. Alors qu’il échoue, Lean On Pete est menacé et cette idée est insupportable pour Charley…

Adaptation d’un roman de Willt Vlautin, « La route sauvage » (« Lean on Pete » en VO) nous propulse au coeur des marginaux de l’Oregon. Charley et son père vivent de peu mais espèrent s’en sortir. C’est peut-être là le film le plus social d’Andrew Haigh qui décrit une société très dure, qui ne fait aucun cadeau. Le comportement de Del vis à vis de ses chevaux sert de métaphore à ce qui se passe dans nos sociétés modernes : ceux qui n’assurent pas sont menacés d’être rayés de la carte. Le petit Charley s’identifie au cheval Lean on Pete car il est une sorte de reflet pour lui : un bras cassé prisonnier de son environnement.

La relation entre le petit garçon et le cheval est très belle, tendre, émouvante. Elle ne manquera pas de toucher beaucoup de spectateurs qui savent comme parfois un cheval, un animal, peut devenir plus important qu’un humain. On lui parle, on se confie, on lui donne de l’affection et il nous en rend à sa façon toute particulière. C’est un amour au-delà des mots, à un autre niveau. Et cette relation ici est encore plus forte car Charley n’a plus que ce cheval sur qui compter.

Les personnages sont magnifiquement incarnés (Charlie Plummer explose notamment dans le rôle principal), la mise en scène est pleine de souffle et renforce la sensibilité de l’ensemble, restant au plus près de Charley, de sa détresse affective et misère sociale et sublimant son échappée vers des contrées désertiques. Il y a là quelque chose d’intemporel, d’humaniste dans ce portrait d’un petit garçon qui se débat de plus en plus pour survivre.

Andrew Haigh est pudique mais il n’hésite pas à appuyer aussi là où ça fait mal, surprenant le spectateur avec des moments à la violence psychologique qui tetanisent. « La route sauvage » montre comme il peut être facile de passer d’un quotidien ordinaire à la plus basse échelle de la société en même temps que Charley se débat pour retrouver sa propre route, un équilibre. Une oeuvre qui reste en tête, entre beauté et douleur.

Film sorti le 25 avril 2018