FICTIONS LGBT

L’ANNÉE DU TIGRE de Tor Iben : des garçons et des masques

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Auteur des films à thématique gay Cibrâil et Le Passager, Tor Iben signe peut-être avec L’année du tigre (Jahr des Tigers) son meilleur long-métrage. Une oeuvre étrange en forme de thriller sensuel sur fond de trouble identitaire.

Ça commence en mode drame intimiste et presque social : Tom (Alexander Tsypilev) vit encore chez sa mère dans un quartier populaire de Berlin. Il ne travaille pas et gagne sa vie par diverses combines dont des cambriolages qu’il effectue avec un de ses amis. Il a une passion à la lisière du fétichisme pour les masques. Il en utilise lors de ses délits mais surtout pour rencontrer anonymement des garçons le temps de parenthèses sexuelles expéditives et sauvages.

Un matin, alors qu’il entre avec son camarade par effraction dans un appartement, il tombe sur un bel inconnu endormi, Lars (Julien Lickert). Son corps nu offert à ses yeux, sa beauté, l’envoûtent instantanément. Début d’une obsession que Lars va intérioriser comme il le fait avec son homosexualité qu’il n’assume pas. Les jours suivants, il va se réintroduire dans l’appartement puis chercher de plus en plus à approcher cet homme qui représente tout ce qu’il n’est pas. En effet, Lars est un homme beau, sportif, aisé, cultivé, professeur à l’Université respecté qui parle ouvertement de son homosexualité et qui a une sexualité épanouie et libérée. Alors que Tom manque d’assurance, n’a pas de bagages pour réussir dans la vie et ne connait le sexe que de façon primitive.

Alors qu’il se rapproche de façon vénéneuse de l’homme qui le fait fantasmer, Tom est apeuré par la figure d’un motard qu’il a aperçu sur une ère de cruising dans les bois. Un potentiel serial killer gay qui semble en avoir après lui…

l'année du tigre tor iben

Le film fait souvent penser au « O Fantasma » de João Pedro Rodrigues de par son caractère charnel et fétichiste et son atmosphère doucement irréelle. Tor Iben brouille les pistes et joue habilement de l’abstraction pour raconter les conflits intérieurs de son personnage principal taiseux, à la douleur rentrée. Tom ne semble pas aimer sa vie et encore moins celui qu’il est. Il vit derrière un masque au propre comme au figuré, se sent invisible dans le monde dans lequel il évolue. Le personnage de Lars constitue alors un miroir aussi haïssable que désirable.

C’est une belle variation en mode thriller sur le refoulement de sa sexualité et plus largement (et c’est sans doute ce qui rend le film captivant) sur la haine de soi que peuvent ressentir beaucoup de gays. Nous mettons tous des masques pour nous protéger des autres ou de nous-même, on accepte de devenir d’autres versions de soi-même lors de plans culs où nous ne sommes plus que des corps, des mises en scène. Pour jouir, pour plaire.

l'année du tigre tor iben

En filigrane, Tor Iben filme la violence des échanges entre homosexuels sur une ère de cruising (alors qu’il s’approche d’un homme pour s’acoquiner avec lui, Tom s’entends dire « Dégage salope » – des mots violents qu’il finira par répéter à son tour plus tard dans un triste élan de mimétisme), la dureté d’une personne ou d’un corps qui se refuse à vous, la sensation terrible que celle de se dire que l’on est pas assez bien aux yeux de quelqu’un. Des choses anodines à priori mais qui creusent à l’intérieur des plaies de plus en plus difficiles à panser.

Bénéficiant d’une réalisation à la fois délicatement surnaturelle et charnelle, « L’année du Tigre » a ce je ne sais quoi de perturbant et d’obsédant qui en font une belle curiosité de cinéma avec ses misères affectives et sociales qui résonnent. Le face à face masculin autour duquel s’articule l’ensemble réserve son lot de surprises, véritable jeu du chat et de la souris (des moments d’effraction à une poursuite tendue dans le sexclub berlinois gay Ficken 3000 en passant par les bois). Un vrai plaisir pour cinéphiles avertis.

Film produit en 2017 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

 

L’ANNEE DU TIGRE (Trailer) from OPTIMALE Distribution on Vimeo.

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3