CINEMA
LE GRAND BAIN de Gilles Lellouche : croire à nouveau en soi
C’est la comédie française phénomène surprise de l’automne. Déjà un gros succès au box office pour « Le Grand Bain » de Gilles Lellouche qui réunit beaucoup de têtes connues et appréciées : Mathieu Amalric, Virginie Efira, Guillaume Canet, Leïla Bekhti, Philippe Katerine, Marina Foïs, Benoit Poelvoorde, Félix Moati, Jean-Hugues Anglade, Alban Ivanov… Ca n’aurait pu être qu’un énième film choral sauf que finalement le film emporte tout sur son passage se révélant être davantage émouvant et réflexif qu’hilarant.
Tout le long-métrage s’articule autour de cette idée de cases dans lesquelles certaines personnes ne rentrent pas et de la difficulté à s’insérer en général. Il y a toujours eu, et aujourd’hui plus encore, une sorte de pression invisible de la part de la société. Que ce soit dans le travail ou dans la vie personnelle, on a l’impression d’avoir des cases à cocher, des modèles de réussite pour lesquels batailler jusqu’à l’épuisement. On ne s’autorise pas l’échec, la faiblesse et on finit par ne plus croire en soi.
« Le Grand Bain » s’ouvre sur le personnage de Bertrand (Mathieu Amalric), un homme en pleine dépression qui n’arrive pas à se remettre dans le bain de la vie professionnelle. Sa femme (Marina Foïs) le soutient tandis que ses enfants le regardent comme un loser. Bertrand ne sait pas comment il peut bien sortir du cercle vicieux du mal-être. Il va trouver une réponse inattendue en allant à la piscine locale. Y sont organisés des cours de natation synchronisée masculine. Coachés par Delphine (Virginie Efira), une ancienne championne, les élèves apprécient sa douceur, son franc parler et les lectures qu’elle partage pendant ses leçons.
En intégrant ces cours, Bertrand se lie peu à peu d’amitié avec une bande d’hommes qui se mettent à nu quand ils sont ensemble, partageant leur vulnérabilité. Thierry (Philippe Katerine) travaille à la piscine et est bizarre, farfelu, semblant dénoter de tout en permanence. Marcus (Benoît Poelvoorde) est un entrepreneur à côté de ses pompes qui voit ses rêves s’écrouler alors qu’il est au bord de la faillite. Simon (Jean-Hugues Anglade) refuse de voir que son rêve d’être chanteur a fait de lui un has been, il court désespérément après l’approbation de sa fille qu’il embarrasse. Laurent (Guillaume Canet) réussit dans son travail mais est colérique, provoquant un éloignement de sa femme et de son fils. Habitués aux échecs en tous genres, ces « bras cassés » vont s’embarquer dans une folle aventure en s’inscrivant à un championnat mondial.
S’il fait beaucoup de bien au moral et déborde de tendresse en appuyant sur les failles universelles de ses personnages très humains, « Le Grand Bain » aborde aussi avec sensibilité le thème de la masculinité, ses diktats parfois oppressants. Et même si nous sommes là avant tout devant un film d’hommes, les personnages féminins sont aussi très beaux que ce soit celui de Delphine (une femme touchante qui se bat contre ses démons et son alcoolisme, incarnée avec grâce par Virginie Efira), d’Amanda (une coach de water-polo handicapée au caractère bien trempé qui offre au film ses passages les plus drôles – Leïla Bekhti est géniale) ou Claire (une femme forte et compréhensive à la fois, jouée par la toujours impeccable Marina Foïs).
Outre les belles interprétations, le projet se paye le luxe de disposer d’une mise en scène soignée et d’une écriture très bien sentie (les dialogues sont un régal). On en ressort avec la larme à l’oeil, l’envie de vivre et d’assumer ses faiblesses. On est reboosté, on croit en l’humain et à la vie et c’est beau.
Il y a toutefois un bémol, que je n’ai pas trop vu abordé dans la presse mais qui est resté un peu au travers de ma gorge : le film est très blanc et très hétérosexuel. Si Balasingham Thamilchelvan est présent sur l’affiche du film et fait partie de l’équipe de natation synchronisée, il est le seul personnage de couleur et hélas le seul personnage a ne pas avoir de trame personnelle développée. Il est purement décoratif et c’est un peu le malaise. De même, alors qu’il est sous-entendu plusieurs fois que la natation synchronisée n’est pas un « sport de mec », on reste dans ce truc très hétéro où on fuit le sujet de l’homosexualité. Un personnage gay n’aurait pas fait de mal à l’ensemble. C’est le seul défaut du film, que j’ai vraiment beaucoup aimé mais qui ne me semble pas être très moderne dans sa galerie de personnages. Ca ne change pas la qualité de l’ensemble mais ça méritait d’être souligné.
Film sorti en salles le 24 octobre 2018