CINEMA
LE GRAND CHANTAGE de Alexander Mackendrick : tout contrôler
Broadway, années 1950. JJ Hunsecker (Burt Lancaster) est l’un des éditorialistes les plus importants des Etats-Unis. Ce qu’il écrit dans les colonnes de son journal est pris pour parole d’Evangile par des millions de lecteurs. Libre à lui d’encenser ou de couler n’importe qui. Conscient de son pouvoir, il en profite pour se prendre pour Dieu et terroriser la majeure partie de son entourage. Pourri, jamais très loin d’obscures affaires, quand il a besoin de régler des comptes, JJ passe par son homme de main, Sidney Falco (Tony Curtis) qui se présente comme son « agent de presse ». Dans les faits, Sidney veille à assouvir tous les caprices de celui dont il espère qu’il lui proposera un jour de tenir une tribune dans son prestigieux canard.
Arriviste et prêt à tout pour réaliser ses rêves de succès, Sidney se trouve toutefois dans une situation inconfortable : JJ lui met une pression infernale pour qu’il provoque la séparation du couple formé par sa soeur, Susie (Susan Harrison) et un jeune musicien de jazz. Obsédé par le besoin de contrôler la seule personne qu’il aime vraiment, JJ va faire de sa vie un enfer…
Belle surprise que ce film classique archi noir opposant Burt Lancaster et Tony Curtis dans des rôles sans pitié. Armé d’une mise en scène élégante et oppressante et d’une photographie troublante, Le grand chantage nous donne l’impression de naviguer en plein enfer. Une autre époque, où un éditorialiste a tellement d’influence qu’il se prend pour Dieu avec sa propre définition, malsaine et faussée, du Bien et du Mal. Difficile de dire qui est le pire entre JJ Hunsecker, le « boss » impitoyable, complètement maniaque / control freak qui entretient une obsession malsaine vis à vis de sa jeune soeur Susie (simple besoin de domination ou tentation incestueuse ?, le doute persiste) et Sidney Falco, petite raclure qui ne recule devant absolument rien (y compris demander à une amie de se prostituer pour servir ses intérêts) dans l’espoir de voir sa carrière décoller. Deux figures maléfiques dont on suit les combines de plus en plus immorales.
Face à ces deux hommes dont l’ambition et la soif de pouvoir n’ont plus de limite, des personnages de femmes terriblement bafouées, victimes d’une misogynie crasse dans un milieu mondain qui donne la nausée. Comme un ange fragile au centre des ténèbres, l’amoureuse Susie essaie tant bien que mal de vivre la seule relation d’amour qui lui semble sincère avec un artiste tendre et idéaliste. Elle croit un temps que son frère pourra comprendre qu’elle souhaite s’émanciper de ses griffes et vivre sa vie mais ce dernier ne lâchera rien…
Sorte de cauchemar éveillé, Le grand chantage est d’une noirceur assez sidérante et dessine des personnages aussi sombres qu’ambivalents (très curieuse et non dénuée d’homo-érotisme est la relation entre JJ et Sidney). Jusqu’à un final cinglant et impitoyable, on ne décroche pas !
Film sorti en 1957 et disponible en DVD