LE LYCÉEN de Christophe Honoré : entre la mort et la vie

By Gaspard Granaud | 25 novembre 2022

Avec Le lycéen, Christophe Honoré revient frontalement à l’une des thématiques phares de son cinéma : le deuil. Un nouveau long-métrage chargé en émotions et en mélancolie. 

Lucas (Paul Kircher) achève son adolescence dans un internat. Lycéen sans trop d’histoires, son quotidien bascule quand on lui apprend que son père (Christophe Honoré) a eu un accident de la route et qu’il est mort sur le coup. Un accident qui survient peu de temps après que son père avait déjà failli mourir au volant de sa voiture, avec lui à ses côtés.

Toute la famille est logiquement dévastée, à commencer par la mère (Juliette Binoche). Le frère de Lucas, Quentin (Vincent Lacoste), qui vit loin des siens sa propre vie d’artiste à Paris, suggère à son cadet de quitter l’internat pour s’installer avec sa maman et l’épauler dans cette difficile période. Mais celle-ci refuse que Lucas se sacrifie pour elle. Il est finalement décidé que le lycéen aille passer un moment à Paris chez son grand frère.

C’est la première fois que Lucas va vivre à Paris et la capitale apparait comme un immense terrain de jeux. Quentin tenant à continuer à mener sa propre vie comme il l’entend, il laisse son frère en autonomie, l’autorisant à vagabonder seul la journée dans la ville.

Logiquement perdu étant donné la phase de deuil qu’il traverse, l’adolescent jouit malgré tout de cette soudaine liberté. Il fait un plan, déambule dans les rues… et développe une petite obsession pour Lilo (Erwan Keopa Falé), le colocataire gay, artiste et craquant de son frère. Ce jeune trentenaire sympathique et tendre avec lui le fascine et on devine que Lucas en tombe amoureux. Un malheureux concours de circonstances vont toutefois amener l’ado endeuillé à dangereusement flirter avec ses limites. 

Si la thématique du deuil est au coeur du film, Le Lycéen parle de beaucoup d’autres choses en touchant souvent profondément le spectateur. Les plus belles émotions qui en émanent sont celles qui ne se basent pas vraiment sur quelque chose de purement narratif, davantage de l’ordre de sentiments volatiles et de sensations. 

Le mal-être est omniprésent. D’abord celui du père qui en début de métrage semble en proie à un profond spleen et dont on ne pourra s’empêcher de se demander si son accident en était vraiment un. Evidemment pour sa défunte épouse, l’épreuve du deuil est de taille. Et pour les deux fils aussi. Assez individualiste et intériorisant ses émotions, Quentin ne montre pas trop sa douleur. Pour Lucas, plus sensible et fragile, c’est différent. Il éclate, de différentes façons. 

Tout le film baigne dans des tonalités assez grisâtres, mortifères, où régulièrement la lumière, la tendresse peuvent s’inviter. Le lien fort d’une mère et son fils, l’amour infini, puissant, palpable entre eux. L’affection de deux frères qui ne savent pas se la montrer quittent à parfois violemment s’opposer. L’attachement singulier d’un garçon plus âgé pour un ado en pleine construction. 

C’est sans doute ce lien-là entre les personnages de Lilo et de Lucas, qui offrent au film ses plus beaux moments. Une forme d’amour à part, assez filial d’un côté et embrasé par la passion un poil candide de l’adolescence de l’autre. 

Au coeur du désespoir, Christophe Honoré fait circuler beaucoup d’amour, de réconfort, d’humanité et même de drôlerie. Cette nouvelle oeuvre fait penser à deux des plus belles pièces de sa filmographie : 17 fois Cécile Cassard (pour la douleur de la perte et une tentative de reconstruction en pleine errance) et Dans Paris (pour l’énergie de la capitale, du cocon au milieu de la grisaille, ces petits apparts où l’on peut se sentir si bien, ces rues toujours traversées par la vie, le mouvement, les élans). 

Le cinéaste sort ici de sa zone de confort, prenant le risque d’être parfois sur le fil (quand par exemple il opte pour un dispositif dans lequel Paul Kircher ou Juliette Binoche se livrent à coeur ouvert devant la caméra), nous embarque vers des émotions noires, inconfortables, dures.

Ce film, plus que jamais dans sa filmographie, joue parfaitement avec les contrastes, les antagonismes, les pulsions de vie ou de mort, le désespoir ou un souffle vaillant. On a souvent les yeux mouillés, c’est plein de cinéma, de fêlures, de questionnements, de sensations. Quelque chose de physique nous relie à ce long-métrage à part qui ne devrait pas manquer de s’inscrire parmi les plus beaux traitant de cette épreuve si particulière et terrible du deuil mêlé à la question de la survie. 

Film présenté en ouverture du Festival Chéries Chéris 2022 / Sortie en salles le 30 novembre 2022