LE QUATRIÈME HOMME de Paul Verhoeven : veuve noire, réalité et fantasmes

Gerard Reve (Jeroen Krabbé), écrivain bisexuel, est invité à une conférence par un cercle d’amateurs de littérature. L’occasion pour lui de quitter son appartement et son compagnon , qui l’épuise à un tel point qu’il pourrait parfois avoir envie de le tuer. Au kiosque d’une gare, il croise un jeune et bel inconnu dont le corps divin l’excite instantanément. Mais alors qu’il tente de le suivre pour tenter sa chance, l’éphèbe disparaît dans un train en partance pour Cologne.

Frustré, Gerard part pour sa conférence. Sur la route, il est pris de visions macabres. Arrivé à destination, il croit voir son nom sur un cercueil. Finalement accueilli chaleureusement par les membre du cercle de littérature, Gerard se prête au jeu de la conférence et des questions-réponses, avouant qu’en tant qu’écrivain il transforme, modifie constamment la réalité en fantasme.

Lors de cette soirée, il croise le chemin de Christine Halsslag (Renée Soutendijk), la trésorière, qui passe son temps à le filmer sans trop de raisons apparentes. Séductrice, la belle blonde l’invite à passer la nuit chez elle. Elle a hérité de l’institut de beauté de son défunt mari, Johan. L’institut s’appelle Sphinx mais les néons en haut du bâtiment, défaillants, marquent Spin (comme l’arraignée en néerlandais). Après une nuit torride en sa compagnie, Gerard envisage de retourner chez lui. Mais quand il découvre, croit-il par hasard, une lettre signée d’un certain Herman (Thom Hoffman), amant de Christine, il change d’avis. Et pour cause : la lettre est accompagnée d’une photo et le Herman en question est le bel inconnu que l’écrivain avait croisé au kiosque de la gare.

Feignant de rester auprès de la riche héritière pour écrire son nouveau roman et lui tenir compagnie, l’artiste, qui a un sérieux penchant pour l’alcool, tente d’en savoir plus sur le bel Herman. Christine lui confesse qu’il est un amant régulier mais qui ne la satisfait pas vraiment : il jouirait trop vite. Gerard lui propose de l’inviter et de tenter de le guérir à l’aide d’un don de clairvoyance qu’il prétend posséder ! Elle accepte. Alors que son fantasme se rapproche de lui, Gerard perd pied de plus en plus. Et s’il s’était laissé piégé par Catherine ?

Adaptation du roman éponyme de Gerard Reve, Le quatrième homme (De vierde man en VO) s’ouvre avec un générique dans lequel une araignée capture dans sa toile trois mouches, entre les deux branches d’un crucifix. La toile de l’araignée peut annoncer la folie du personnage principal, écrivain alcoolique et torturé, qui confond de plus en plus réalité et fantasme. Mais ces images annoncent surtout la rencontre pour le moins dangereuse avec Catherine. Femme séductrice, elle se révèle à Gerard comme vulnérable, souffrant de la disparition de son mari Johan, de sa solitude. Mais petit à petit Gerard découvre qu’elle n’a pas eu un mais trois maris et qu’ils sont tous morts. Et que Catherine avait filmé chacun d’entre eux jusqu’à leur issue tragique. Ayant lui aussi été filmé, Gerard serait-il « le quatrième homme » ? La présence dans le générique du crucifix n’est pas non plus un hasard puisque tout le film durant, dans la réalité ou pendant ses hallucinations, l’écrivain se laissera entouré de signaux et références religieuses. D’une femme en bleu évoquant la vierge Marie au shampoing de l’institut de Christine qui s’appelle Dalila en référence à l’histoire biblique de Samson et Dalila, en passant par le fantasme d’Herman, offert et sacrifié d’avance sur une Croix tel le Christ : le religieux a une place très importante dans cet univers pourtant très sexué.

Tel est pris qui croyait prendre ? Bisexuel, anciennement marié à une femme, Gerard Reve semble désormais préférer les partenaires du même sexe. Avant son départ on peut voir qu’il partage la vie d’un jeune homme ; quand il couche avec Christine, il lui cache les seins et fantasme sur le fait que de loin elle ressemble à un beau garçon…Et finalement s’il décide de rester auprès d’elle, c’est uniquement parce qu’il a trouvé la lettre et la photo (dénudée) d’Herman, inconnu qui l’obsède. Pensant profiter de la riche veuve et tenter de lui dérober son jeune amant, l’écrivain ne saisit pas que cette dernière pourrait bien avoir une longueur d’avance sur lui et qu’elle pourrait aussi se servir de lui ou d’Herman comme appât pour finaliser un des plans diaboliques dont elle a le secret.

Jouant aussi bien la carte du film labyrinthique sur la folie que celle du thriller sexuel (Verhoeven réalisera plus tard Basic Instinct et les points communs entre les deux oeuvres sont nombreux) , le long-métrage perd le spectateur dans un univers chargé en symbolisme. Les pulsions sexuelles se mêlent aux visions, rêves et cauchemars. Le fantasme dévorant d’Herman n’empêche pas Reve de se perdre dans d’hypothétiques prémonitions funestes. Petit à petit, on reconstitue le puzzle et le réalisateur nous laisse le choix de décider si nous sommes là devant un thriller machiavélique dans lequel une veuve noire tire les ficelles ou face au portrait d’un écrivain qui a perdu la raison et invente une histoire barrée où il projette toutes ses obsessions, une histoire qu’il rend réelle dans sa tête.

Très bien rythmé, intrigant, obsédant et excitant (deux scènes très chaudes en particulier : celle de la nuit torride entre Gerard et Christine puis celle, avortée, de l’étreinte avec Herman dans la tombe), Le quatrième homme nous fait tourner la tête en même temps qu’il tire le meilleur d’un scénario jouant avec nos peurs et nos pulsions les plus sombres.

Film sorti en 1983. Disponible en DVD