CINEMA
LE SIGNE DU LION de Eric Rohmer : à la rue
Premier long-métrage officiel du cinéaste Eric Rohmer, Le Signe du Lion raconte la déchéance d’un artiste bohème frappé par la malchance dans un Paris estival.
Pierre Wesselrin (Jess Hahn), américain et la quarantaine, est musicien mais cela fait un moment qu’il n’a pas joué ou sorti quelque chose. Ses journées consistent à trainer dans Paris, dans les cafés de Saint Germain des Près avec ses amis. Depuis quelques temps, les dettes ont tendance à s’accumuler et Pierre emprunte régulièrement de l’argent à des connaissances, dont l’un de ses amis les plus proches, Jean-François (joli Van Doude), journaliste à Paris Match.
Alors que l’été commence, la chance semble venir à lui : on lui apprend que sa richissime tante est morte et qu’il va hériter de sa fortune avec son cousin. Euphorique à l’idée de devenir millionaire, Pierre demande une fois de plus de l’argent à Jean-François pour organiser une grosse bringue. Il lui rendra au centuple promet-il. Son propriétaire veut récupérer son grand appartement mais il s’en fiche : il en trouvera un autre avec son héritage.
Mais voilà que quelques temps plus tard la nouvelle tombe comme un couperet : sa tante l’a déshérité, seul son cousin touchera le pactole. Se retrouvant accablé de dettes, Pierre essaie encore d’emprunter de l’argent, va dormir à l’hôtel avec toutes ses affaires. Plus les jours passent et plus il devient difficile pour lui de subvenir à ses besoins. Ses connaissances partent en vacances, il n’a personne à qui demander de l’aide. Incapable de payer sa chambre d’hôtel, il se retrouve à la rue…
Inspiré de faits réels, cette histoire s’appuie sur un personnage principal pas forcément sympathique de prime abord. Pierre Wesselrin est « un gratteur », quelqu’un qui semble profiter en permanence de son entourage. Mais ce qui va lui arriver va le rendre progressivement attachant. Victime d’un malheureux concours de circonstances, l’artiste oisif se retrouve du jour au lendemain à la rue. Et c’est un sujet très intéressant !
Pour son premier film long, Eric Rohmer livre une oeuvre d’errance où sous un soleil de plomb on voit le pauvre Pierre se clochardiser peu à peu. La capitale est plus touristique que jamais, il fait beau et chaud et on voit le costard de Pierre se dégrader petit à petit. Sa veste se tâche, on devine qu’elle sent de plus en plus la transpiration, le talon d’une de ses chaussures lâche… Quand on sombre dans la pauvreté, on bascule en quelque sorte de l’autre côté du miroir, dans un monde parallèle. On peut devenir invisible (les gens préfèrent faire mine de ne pas voir votre misère et vous évite plus ou moins poliment) ou pire, risible (les horribles touristes qui se moquent des sans abris qu’ils trouvent comiques).
On devine que Pierre a honte d’en être arrivé là, à voler des biscuits au marché, à devoir dormir contre un arbre au bord des Quais. Les journées sont longues, lentes et il perd chaque jour un peu plus espoir de remonter la pente. L’aspect mélancolique et fantomatique de l’ensemble fait mouche, on a l’impression d’être les pieds dans des sables mouvants, nous enfonçant vers une inéluctable déchéance.
Le titre du film, en référence au signe astrologique du personnage principal, renvoie à la notion de destin et de hasard. Le sort finira-t-il à nouveau par lui sourire ?
Oeuvre à part de Rohmer, plus musicale, assez taiseuse, atmosphérique, Le Signe du Lion est une belle curiosité dans sa filmographie. En petit bonus, on ne reste pas de marbre face au charme discret de Van Doude qui incarne le meilleur ami bon chic bon genre Jean-François.
Film sorti en 1962 et disponible en VOD et DVD