FICTIONS LGBT
L’EMPREINTE DE TES LÈVRES de Julián Hernández : enfermement et fièvre des corps
Réalisateur gay déjà culte, Julián Hernández revient avec une proposition étrange et très charnelle avec L’empreinte de tes lèvres (La huella de unos labios en VO). Un trip sur fond de confinement.
Le film s’ouvre sur une succession de scènes en mode film de mafia / série z où s’illustre Román (Hugo Catalàn), un acteur habitué aux téléfilms et autres tele novelas. On se doute que la piètre qualité de l’ensemble ne peut pas vraiment être signée du réalisateur Julián Hernández et on finit par comprendre qu’il s’agit d’un film dans le film. Le personnage de Román est ainsi posé et quelques bribes / informations nous sont données sur lui, notamment qu’il a un faible pour les mecs plus jeunes qu’il aime dominer sexuellement. Non loin de lui évolue Aldo (Mauricio Rico) un mec un peu plus jeune, au charme plus naturel, attiré par les bad boys et expériences intenses. Ce dernier va développer une certaine obsession pour Román sur lequel il fantasme complètement depuis qu’il l’a vu à l’écran.
L’empreinte de tes lèvres se retrouve sans mal dans la catégorie des films les plus conceptuels de son auteur, articulé autour d’une trame énigmatique qui s’amuse à nous perdre. Impossible de savoir où l’on va lors de la première partie qui multiplie les fausses pistes. L’intrigue s’attarde en particulier sur le personnage d’Aldo attiré par une sexualité subversive, le lâche prise, le voyeurisme puis l’exhibition aussi. On le voit tisser une relation avec un homme plus âgé et plonger furtivement dans une liaison avec un jeune mec dangereux et violent qui tient un compte x.
Si le spectateur peut légitimement se sentir égaré, il est constamment maintenu par la mise en scène du réalisateur qui comme à son habitude n’est pas avare en plans magnifiques, en mouvements de caméra vertigineux, aériens, et autres travellings du plus bel effet. Julián Hernández est sans conteste l’un des plus doués metteurs en scène d’un certain cinéma indépendant à thématique gay et il le confirme une fois de plus.
Progressivement, l’intrigue prend un tournant alors qu’on comprend que se déploie un confinement. Aldo et Román vont se retrouver enfermés chez eux pendant des semaines, puis des mois, voire des années. La situation s’inspire ouvertement de la période covid (qui est d’ailleurs ouvertement citée) mais le film transforme ce cadre en quelque chose de plus dystopique, plus brutal. Ici, les forces militaires rodent devant les immeubles des gens confinés, on a l’impression que chaque personne qui ose sortir risque sa vie, l’atmosphère est extrêmement morbide et la maladie peut se manifester de façon sanglante.
Le parti pris de mêler une situation bien réelle (et qui avait des accents dystopiques, on se souvient) à une stylisation proche de l’univers science-fiction apporte un vrai trouble. L’ensemble peut s’apparenter à une fièvre se matérialisant en images à l’écran. Les fantasmes (torrides et intenses) se mélangent au réel pour quelques scènes abrasives, jouant parfois avec nos limites et tabous.
Avec un certain brio et une réelle capacité à instaurer un climat à la fois érotique et apte à susciter l’inconfort, Julián Hernández montre l’extrême solitude propre au confinement (et à une vie gay guidée par une sexualité clandestine choisie ou subie) et le besoin d’intimité qui peut conduire ses personnages masculins à imploser. Plus on reste enfermé sans interaction sociale réelle, plus on manque de contact, plus la bête sexuelle s’éveille et nous consume. Román le cavaleur se retrouve ainsi complètement en manque et vulnérable, dans le besoin et l’attente, comme il ne l’avait jamais été, lui qui avait l’habitude de faire son actif macho pacha. Il va se laisser séduire en ligne par Aldo avec qui il va commencer un échange coquin. Aldo, dont la cousine chez qui il vit a succombé à la maladie, survit en gagnant un peu d’argent en faisant des live shows hot (qui lui permettent aussi on le devine d’évacuer ses frustrations, ses propres manques). Evidemment, quand il se met à échanger avec Román qui était son gros fantasme il exulte. Il va légèrement le manipuler, faisant mine de ne pas le connaître et de ne pas s’intéresser à l’univers du cinéma. Le rapport de force pré-établi entre eux (le fan adorateur et fantasmeur et la star intouchable) va peu à peu se renverser.
Il se trouve que les deux hommes vivent dans des immeubles situés l’un en face de l’autre et qu’un vis-à-vis leur permet de se voir. L’occasion potentielle de jouer ensemble et de tromper la dévastatrice solitude…
Jusqu’à un final glaçant et très noir qui donne son titre au métrage, L’empreinte de tes lèvres fait un drôle d’effet. Un étrange labyrinthe qui n’est pas sans évoquer les oeuvres gays abstraites d’un certain João Pedro Rodrigues.
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023