FICTIONS LGBT
LES AMANTS DE CARACAS de Lorenzo Vigas Castes : passion floue
Caracas. Armando (Alfredo Castro), la cinquantaine, est un prothésiste dentaire bien installé. Son quotidien vacille quand il apprend qu’est de retour dans les parages un père qu’il déteste et qui l’a visiblement traumatisé. Pour tout oublier, comme souvent, l’homme accoste dans les rues de jeunes garçons pauvres et les invite chez lui. Contre de l’argent, il leur demande de se se prêter au jeu de l’exhibition. La chose est presque devenue une routine.
Une routine qui explose lorsqu’Armando se retrouve face à Elder (Luis Silva), garçon des quartiers chauds à la beauté diabolique et au tempérament de feu. Contrairement aux autres, Elder résiste. Pire : il agresse le quinquagénaire et lui vole son argent. Quand ce dernier revient le voir quelques jours plus tard pour lui proposer à nouveau de l’argent et sans ne rien lui demander en retour, un curieux jeu commence. Ils n’ont rien en commun ,mais chacun à leur façon, ils vont réaliser qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Au fil des semaines, entre désir, frustration et jeux de pouvoir, leur relation va évoluer de façon inattendue.
Lion d’or à la Biennale de Venise 2015, Les amants de Caracas (Desde alla) nous plonge dans le quotidien à priori austère d’un homme aisé mais seul, en proie à des traumatismes du passé. Sa vie sans surprises explose alors qu’entre dans le champ le beau et possiblement vénéneux Elder. La caméra du réalisateur Lorenzo Vigas Castes ne cesse de sublimer ce « bad boy » des quartiers malfamés de Caracas. Elder mange comme un ogre, est violent, sauvage… mais comment résister à son visage lisse, sa sensualité, la belle peau mate de son torse moulé dans des débardeurs ? Hétéro archi revendiqué, sanguin, il a dans un premier temps en horreur Armando qui à ses yeux ne le considère que comme un pauvre mec de plus, dont on profite de la misère sociale pour mieux exploiter le corps. Les premiers échanges sont primitifs et sans le moindre affect. Mais alors qu’Armando s’accroche, accepte en quelque sorte les coups, l’indifférence, l’humiliation, et allonge l’argent, quelque chose se passe petit à petit dans la tête du jeune homme. Et si ce quinqua n’était pas si pourri que ça ?
Un peu comme un père qu’il n’a pas eu et qui lui donnerait son affection de façon inconditionnelle, le prothésiste dentaire s’impose comme soutien indéfectible et à terme rassurant. Face à sa générosité sans limite, Elder se sent malgré lui un minimum redevable, fait la conversation, passe du temps avec celui qui est toujours là pour voler à son secours ou le gâter. Il entrevoit aussi un homme à fleur de peau, à l’historique familial complexe, brisé. Il se laisse toucher, baisse peu à peu la garde, au point de tout remettre en cause et se mettre lui-même en péril.
Outre une mise en scène très maîtrisée et élégante, ce qui séduit dans cette variation cruelle sur le thème du dominant-dominé et de la vampirisation, c’est son caractère hautement imprévisible. Soit 2 hommes qui jouent à un jeu dangereux et établissent une relation de plus en plus floue entre désir, filiation, amitié et amour. Celui qui s’y cramera le plus les ailes n’est pas forcément celui que l’on croit. Au coeur de ce qui s’apparente à un conte cruel implacable trône le jeune Luis Silva, interprète suave et ténébreux d’Elder. Une bombe sexuelle aux multiples visages qui évoque par moments la grâce d’un jeune Marlon Brando. Lorenzo Vigas Castes signe là son premier long-métrage, obsessionnel et viscéral à souhait, et c’est un coup de maître !
Film sorti en 2016. Disponible en VOD