CINEMA
LES AMANTS de Louis Malle : nuit magique
Après Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle retrouve Jeanne Moreau pour Les amants, drame intime et bourgeois qui réserve une très belle surprise finale.
Dijon. Jeanne (Jeanne Moreau) a épousé Henri Tournier (Alain Cuny), un magnat de la presse. Ils vivent dans une grande demeure où elle s’ennuie. Malgré sa beauté, sa curiosité et son intellect, Jeanne semble laisser constamment indifférent son mari, trop occupé par ses affaires. Pour fuir l’ennui, elle va régulièrement à Paris rendre visite à sa meilleure amie mondaine Maggy (Judith Magre). Elles sortent ensemble et vont notamment à des matchs de polo. L’un des vaillants joueurs, Raoul (Jose Luis de Villalonga), entame une liaison avec Jeanne.
Alors que cette dernière passe de plus en plus de temps à Paris et est de plus en plus accrochée à son amant, son époux se doute que quelque chose cloche. Il décide d’inviter à diner dans sa maison Maggy et Raoul. Cette démarche perverse met évidemment Jeanne dans l’embarras. Le jour du diner, la jeune femme tombe en panne et est secourue par un inconnu, Bernard (Jean-Marc Bory). Ils sont très différents et se chamaillent pendant une bonne partie du trajet. Arrivés à temps pour le diner, Bernard est également invité…
Louis Malle joue un peu avec nos nerfs pendant une bonne partie de ce long-métrage qui raconte l’ennui et l’existence vide de sens d’une jeune femme bourgeoise campée par Jeanne Moreau. Le rythme est lent, les personnages pas très sympathiques. On espère que l’oeuvre va prendre son envol alors que la liaison entre Jeanne et Raoul devient plus sérieuse. Mais ça ne décolle pas non plus. « Mais où va donc ce film ? » se demande-t-on.
Le réalisateur sait très bien où il mène sa barque et sème ici et là de petites choses. Bien que pouvant fuir à tout instant sa demeure et foncer à Paris, Jeanne se sent prisonnière. Elle a envie qu’on l’aime, vraiment, qu’on la considère. Elle attend quelque chose sans trop savoir quoi. Plus le métrage avance et plus l’époux se révèle être un sale type, considérant peu son épouse mais refusant qu’elle puisse être heureuse d’une autre façon. On ne s’attache pas vraiment non plus à Maggy, superficielle, ou à Raoul, un peu insignifiant.
L’arrivée du personnage de Bernard amène un peu de piquant. Lui et Jeanne ne sont d’accord sur pas grand chose si ce n’est rien. Il a en horreur tous les gens qu’elle fréquente ou connait. Il se fiche des modes, des mondanités, des codes.
Le diner où tout le monde se retrouve est un moment de malaise assez jubilatoire et grinçant. Mais surtout Les amants décolle complètement dans sa dernière partie, aussi inattendue que magnifiquement romantique. Un enchaînement de scènes nocturnes d’une pureté et d’une sensualité folles, qui mettent des étoiles dans les yeux.
Louis Malle matérialise l’amour qui frappe. Les masques tombent, les visages se dévoilent. Celui qui est en face de soi devient d’un coup magnifique, irrésistible au point qu’on quitterait tout pour lui. C’est le récit d’une nuit de rêve, de celles inoubliables dont la beauté hantera encore et encore. C’est pour ce genre de nuit qu’on est vivant. Et la grâce du moment va marquer Jeanne, la chambouler.
On apprend au détour d’une phrase qu’elle est maman. Comme si ça n’était qu’un détail. Si le spectateur s’attache à elle car la caméra ne la quitte pas, Louis Malle montre la beauté et les zones d’ombres de cette femme délaissée mais aussi un peu égoïste. Pourra-t-elle vraiment se satisfaire d’un amour ? Après une nuit au romantisme sublime et bouleversant de pureté, au goût d’absolu, la fin du film se fait plus lucide et pas moins poignante.
Film sorti en 1958. Disponible en DVD et VOD