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LES CHANSONS D’AMOUR de Christophe Honoré : enchantement

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Sorti en 2007, Les chansons d’amour avait connu un joli petit succès critique et public. Il est devenu au fil des années le film le plus culte de son réalisateur Christophe Honoré. Une oeuvre pop sur le deuil, pleine de moments de grâce.

Paris. Ismaël (Louis Garrel) et Julie (Ludivine Sagnier) voient doucement leur couple se déliter. Elle lui reproche de ne pas être assez présent et attentionné et lui fait constamment l’enfant, trouvant de multiples parades pour fuir le conflit. Vivant ensemble, le jeune couple subit de plein fouet une certaine routine alors qu’il a pourtant décidé d’épicer son intimé en s’essayant vaguement au trouple. En effet, depuis quelques temps, Ismaël et Julie partagent ponctuellement leurs soirées et leur lit avec Alice (Clotilde Hesme), une fille qui travaille avec Ismaël dans la rédaction d’un quotidien. Cette expérience ne rapproche pas davantage Ismaël et Julie et a plutôt tendance à aiguiser les jalousies.

Un soir, alors que les trois amants se rendent à un concert, Julie se sent mal et tombe brutalement. Delta Charlie Delta : elle est morte. Ce coup de massue va logiquement profondément ébranler Ismaël, Alice, ainsi que la famille de la défunte : sa grande soeur un peu paumée et pot de colle Jeanne (Chiara Mastroianni), sa petite soeur Jasmine (Alice Butaud), sa mère un poil intrusive (Brigitte Roüan) et son père débonnaire (Jean-Marie Winling). Le temps de quelques semaines, chacun essaie de faire son deuil et d’avancer à sa façon…

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Articulé en 3 parties comme Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (le départ, l’absence, le retour), Les chansons d’amour n’a pas pour toile de fond la guerre d’Algérie mais plutôt une guerre intime, une guerre des sentiments, une guerre entre la pulsion de vie et la sentence déchirante de la mort. Christophe Honoré multiplie les clins d’oeil à ce(ux) qu’il aime (livres, films de la Nouvelle Vague, ses amis Gaël Morel et Alex Beaupain) et délivre surtout une oeuvre étonnamment pop et colorée, entêtante, autour du thème pas facile du deuil.

Si au début on peut se sentir un peu perdu de par le fait que le film s’amuse avec un côté littéraire revendiqué et des partis pris de jeu dont on est peu habitué dans le cinéma français contemporain, plus il avance et plus il se fait fort et émouvant. Il en va de même pour la partition musicale d’Alex Beaupain qui de scène en scène devient de plus en plus intense et bouleversante. Il émane de l’ensemble une magie peu commune. Tous les personnages, même ceux qui n’apparaissent qu’au détour d’une scène, existent, semblent réels, nous amusent ou nous touchent. Les moments de grâce s’enchaînent (la légèreté du passage Je n’aime que toi, la ballade implacable de la mort avec Delta Charlie Delta et ses photos noir et blanc incrustées, le moment de réconfort avec les yeux mouillés sur Il faut se taire, l’instant tout mimi avec As-tu déjà aimé ?, le tourbillon émotionnel romantique de Ma mémoire sale, la nostalgie déchirante de la scène Au parc, la tristesse fantomatique de Si tard et la libération enchanteresse de J’ai cru entendre…).

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La perte d’un être cher entraîne une profonde remise en question de tous les personnages. Au centre, l’insondable Ismaël qui semble ne jamais bien trop savoir ce qu’il veut ni qui il est, refusant les étiquettes et incapable de faire semblant. Un homme-enfant qui cultive le mystère sans forcer le trait parce qu’au fond il est avant tout un mystère pour lui-même. Ce qui est beau chez lui c’est qu’il n’a pas de certitudes arrêtées. Il témoigne d’une certaine liberté du coeur et du corps, passe du couple au trio hétéro jusqu’à tomber dans les bras d’un jeune garçon fleur bleue et idéaliste.

Le titre du film l’indique : ici il est avant tout question d’amour. La musique permet de faire passer une intensité des sentiments qui auraient plus de mal à se matérialiser par de simples dialogues. Cela renforce la force des échanges entre les protagonistes et amène beaucoup de poésie. L’amour que chante chacun ici est multiple : il est question de l’amour qui fait douter, de la lassitude, des coeurs brisés par un amour perdu, de l’amour que l’on a pour son enfant ou sa soeur partie trop tôt, du premier amour d’un lycéen… Le thème est universel et forcément cela peut toucher tout le monde, au-delà du microcosme parisien où se situe l’action.

Christophe Honoré délivre par ailleurs ici une nouvelle déclaration d’amour à Paris, ici à la fois terrain de vie et de liberté, d’errance, de rencontres. La beauté de la ville et ses pulsations est palpable partout même dans les moments chaotiques. Surtout, le cinéaste capte la magie de cette capitale qui donne souvent à ses habitants cette sensation galvanisante qu’à tout moment tout est toujours possible. Et le quotidien dans le 10ème arrondissement, à Bastille ou Montparnasse est très bien saisi à travers les marches, les repas en famille dominicaux, les petits apparts de charme, les brasseries, les verres nocturnes en terrasse…

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Enfin, impossible de ne pas mentionner la love story final entre Ismaël et le petit breton ultra chou, Erwann (Grégoire Leprince-Ringuet). Si Les chansons d’amour opère des allers-retours fréquents entre mélancolie et beaux instants de vie, tous les passages entre les deux garçons ont ce je ne sais quoi hyper craquant et intense. Erwann est lycéen, son amour est fou et fougueux, pur, exalté. Inattendu, son personnage achève de faire rayonner ce film hyper attachant, à l’écriture singulière et la mise en scène référencée et inventive en même temps. On a rarement pu voir d’aussi belles scènes d’amour gays dans un film français (celle de la Mémoire sale est devenue un sommet du genre). Et cette phrase finale qu’on a tous aimé : « Aime-moi moins mais aime-moi longtemps »…

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A titre personnel, Les chansons d’amour reste mon film préféré de Christophe Honoré. Parce que c’est le plus universel, le plus émouvant, le plus surprenant, le plus généreux, le plus pop, le plus romantique et que je l’aime inconditionnellement pour toutes ses qualités et ses quelques fausses notes aussi. Allez, je le dis : pour moi c’est un de mes films à thématique gay favoris.

Film sorti en 2007 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3