CINEMA
LES HAUTS DE HURLEVENT de Andrea Arnold : boue et merveilles
Angleterre, XIXème siècle. Heathcliff, jeune enfant vagabond noir, est recueilli par Monsieur Earnshaw, bon chrétien qui décide de le prendre sous son aile et de l’intégrer dans son foyer où il vit avec ses deux enfants, Hindley et Cathy. Hindley, enfant le plus âgé ,voit d’un très mauvais œil son arrivée et ne tarde pas à lui chercher des noises, parfois avec une grande violence. Pour Cathy, du même âge que Heatchliff, c’est tout l’inverse : elle en fait rapidement un ami, un frère et petit à petit même un premier amour. Le garçon et la fille s’enfuient fréquemment dans la nature pour jouer et rêver ensemble, loin du quotidien souvent rude du monde rural.
Quand Monsieur Earnshaw meurt, les choses changent gravement. Hindley devient le maître de la maison et fait de Heathcliff son obligé voire son esclave, passant son temps à l’humilier ou à le violenter. Heathcliff ne vit plus alors que pour ses moments précieux avec Cathy. Mais un jour, suite à un incident, Cathy est amenée à rester dans une famille bourgeoise, les Linton. L’enfant de la famille, Edgar, se met à la courtiser. Elle finit par accepter de se marier avec lui. Désespéré, Heathcliff prend la fuite.
Il reviendra des années plus tard, transformé, avec une situation, dans le but de la revoir et dans l’espoir de la récupérer et partir avec elle. Mais alors qu’ils sont désormais tous les deux de jeunes adultes, la situation se révèle plus compliquée que prévue…
Adaptation très libre du livre éponyme d’Emily Brontë (l’intrigue se concentre seulement sur une partie du roman et nous est narrée du point de vue d’Heathcliff) , Les hauts de hurlevent se révèle rapidement être porté par un souffle peu commun. La réalisatrice Andrea Arnold prend ses distances avec les codes habituels de l’adaptation littéraire, du film en costumes, et nous invite à une aventure très sensorielle. Caméra épaule, gros plans, brutalité de l’enchaînement des scènes : c’est un film pas forcément facile, parfois éprouvant dans son dispositif. Et pourtant on se laisse prendre au jeu, on se laisse envoûter par le bruit du vent, des petits détails. Premièrement parce que la cinéaste parvient à filmer la nature en lui rendant tout son mystère, sa poésie et sa sauvagerie et deuxièmement parce qu’elle rend à la fois émouvant, sensible et à la frontière du rapport primitif le rapprochement entre les jeunes Heathcliff et Cathy. Le silence, l’épure, finissent par s’opposer à des scènes troublantes, d’une beauté furieuse.
Le rapport qu’entretiennent Heathcliff et Cathy fait partie de ceux qui se passent de mots, qui sont de l’ordre de l’évidence. Ils parviennent à créer des instants, des mondes, qui n’appartiennent qu’à eux. Et si la vie dans leur maison / auberge est difficile, éprouvante, dès lors qu’ils se retrouvent au grand air tous les deux, tout apparait soudainement infini. Les deux premiers tiers du film, très joliment contemplatifs, entre boue et merveilles, marque profondément par sa façon de dépeindre avec intensité et vitalité la naissance d’un amour entre l’enfance et l’adolescence.
Le derniers tiers de l’adaptation d’Andrea Arnold est celle mettant en scène le retour de Heathcliff. Alors qu’avant tout paraissait possible, désormais chacun semble lié, prisonnier. Heathcliff et Cathy ,s’ils brûlent encore l’un pour l’autre, finissent par se détruire. Ce passage du film est un peu plus maladroit, sur le fil, parfois à deux doigts de tomber dans le pathos. Il n’est pas moins beau pour autant et constitue le récit sensible d’un amour déchu hanté par le souvenir d’une enfance certes contrariée mais ô combien intense. Le roman retrouve ici un souffle et une jeunesse dont il n’a pas souvent pu bénéficier au cinéma. Un film qui a le parfum de l’amour et de la mort, et qui retranscrit bien la grâce et le désespoir d’un premier amour qui ne résiste pas au temps ou aux convenances.
Film sorti le 5 décembre 2012 et disponible en VOD