CINEMA
L’ÉTÉ MEURTRIER de Jean Becker : drames sous le soleil
Avec L’Été meurtrier, Jean Becker signe un de ses films les plus marquants en racontant l’histoire tragique d’une jeune femme incarnée par une Isabelle Adjani inoubliable d’intensité. Un drame populaire et rural qui n’hésite pas à aller loin dans la noirceur.
1976, dans un petit village de Provence. Eliane dite « Elle » (Isabelle Adjani) emménage avec sa mère et attire instantanément les regards. Il faut dire qu’elle est clairement du genre à ne pas passer inaperçue. Beauté fulgurante, tenue légère, attitude nonchalante et aguicheuse. Les hommes la désirent et Pin Pon (Alain Souchon), un gentil pompier discret un peu timide, n’y fait pas exception. Sauf que contrairement aux autres hommes qui ne font que vouloir Eliane pour son corps, lui est définitivement amoureux.
Il n’en revient pas quand un jour la jeune femme s’intéresse à lui. Il commence à se fréquenter et Eliane est surprise de constater que Pin Pon cherche vraiment à la connaître et qu’il a pour elle un amour pur. Touchée, la brune brûlante n’en oublie pas sa motivation première : ce que Pin Pon ignore, c’est que si Eliane est venue à lui ça n’est pas pour ses beaux yeux. Elle a entendu dire qu’il avait dans la grange de la maison où il vit avec sa famille un piano mécanique. Eliane est persuadée que l’instrument l’aidera à remonter à la source de la personne qui a détruit la vie de sa propre famille il y a de cela bien longtemps. Assoiffée de vengeance, elle ne reculera devant rien.
Persuadée dans un premier temps que la famille de Pin Pon cache une sale histoire, elle s’infiltre dans leur quotidien par le biais de son couple. Elle emménage à la maison, laisse entendre qu’elle est enceinte, un mariage se prépare… Mais plus le jour de la cérémonie approche et plus Eliane réalise que la tragique histoire qui est à l’origine même de sa naissance est bien plus complexe et floue qu’elle ne l’imaginait. A force de remuer le passé, elle va peu à peu mettre gravement en danger son présent et celui de ceux qui l’entourent.
Adaptation d’un roman de Sébastien Japrisot lui-même adapté d’un fait divers, L’été meurtrier mêle à la fois drame familial et thriller sous le soleil d’un petit village de Provence. Isabelle Adjani met le feu à l’écran dans un rôle de femme fatale. Eliane peut d’abord paraître pour une jeune femme un peu cruche et vulgaire qui en fait des tonnes dans le genre aguicheuse. Sa façon de s’exprimer est celle d’une gamine légèrement écervelée et colérique pour ne pas dire parfois hystérique. Mais sous le vernis de la jeune femme sexuellement légère à l’âme d’enfant se cache une bien sombre histoire que peu de gens pourraient imaginer.
Le film joue très habilement sur deux tableaux. D’abord le quotidien de la vie de famille de Pin Pon, un mec bien, romantique et rêveur magnifiquement incarné par Alain Souchon. On craque pour son côté gauche, sa bienveillance, sa façon très douce d’approcher la tornade qu’est Eliane. On a l’impression de vivre avec lui et sa famille. La mère pas commode, le petit frère qui se la joue intello, l’autre frère qui rêve de gagner un tournoi de vélo alors qu’il fume 30 cigarettes par jour et batifole (François Cluzet, jeune et plein de charme), la tante à moitié sourde… Dans cette famille française typique et à l’ancienne, Eliane détonne par son côté sans gêne, son impudeur, son caractère. Cela donne lieu à des moments à la fois tendres et drôles qui apportent à l’ensemble un véritable charme.
Mais L’Été meurtrier c’est surtout la sombre histoire que traîne Eliane, moins bête et moins lisse qu’elle n’en a l’air. Derrière son apparente légèreté, la bombe sexuelle cache un côté très calculatrice et des fêlures qui la font flirter avec la folie. Le passif familial est en effet atroce et à mesure que l’intrigue avance on voit le personnage s’assombrir de plus en plus, hanté par les monstres du passé et décidé à en découdre quoi qu’il en coûte.
La voix off fait s’alterner différents points de vue alors que nous comprenons petit à petit que nous nous dirigeons vers quelque chose de très noir, irréparable, irrémédiable. C’est le récit de deux souffrances : celle de plus en plus évidente d’Eliane qui réserve son lot de révélations glauques et celle contenue et non moins dévastatrice du pauvre Pin Pon qui bataille mais n’a hélas pas les épaules pour gérer tout ce qui va lui tomber dessus.
Noirceur sous le soleil, Adjani au top dans la peau d’une femme aussi troublante que complexe, Souchon étonnant et touchant en héros romantique au coeur pur : un film haletant et gonflé, à l’écriture piquante et aux nombreuses répliques cultes, qui a le mérite de bien secouer.
Film sorti en 1983. Disponible en DVD et VOD