FICTIONS LGBT
L’ÉTERNELLE RENCONTRE de Philippe Vallois : rencontre du même type
Cinéaste gay culte et précieux, auteur d’un cinéma indépendant à la liberté qui fait un bien fou, Philippe Vallois nous régale une nouvelle fois avec l’original, tendre et amusant film L’éternelle rencontre.
Mai 1973. Jean-Jacques (Alexis Sageot) rentre du Festival de Cannes avec des films et des étoiles pleins la tête et les yeux. Il fait du stop pour rentrer chez lui et est pris par un auto-stoppeur dans les Cévennes. Mais voilà que le conducteur se met à lui faire des avances dont il n’a absolument pas envie ! Ejecté du véhicule, il cherche un autre moyen de rentrer, sans succès. Alors que la nuit tombe, il va frapper dans la seule maison qu’il trouve pour demander l’hospitalité. Il se retrouve face à un homme de 60 ans, Maxime (Philippe Vallois), qui tombe dans les pommes à sa vision !
Après l’avoir secouru, Jean-Jacques fait connaissance avec ce drôle de personnage qui l’accueille chaleureusement. En opposition à Jean-Jacques, jeune homme hétéro revendiqué et assez coincé, Maxime affirme sa singularité, son homosexualité et se plait à taquiner celui-ci. Après avoir passé la nuit chez cet inconnu sympathique et un peu rentre-dedans, Jean-Jacques ne reprend pas tout de suite la route. Il passe l’après-midi avec des hippies puis dine chez son hôte qui a une étonnante révélation à lui faire : Maxime serait la version de Jean-Jacques, issue du futur, âgé de la soixantaine. Il lui explique plus tard que le temps ne fait que se répéter et que lui-même, à l’âge de Jean-Jacques, avait rencontré son double alors lui aussi âgé de 60 ans. Une sorte d’éternelle rencontre vouée à se répéter.
Evidemment, Jean-Jacques a du mal à croire à cette improbable histoire, aussi poétique soit-elle : il se dit que Maxime est simplement un original, un homosexuel qui essaie de le draguer avec fantaisie. Mais petit à petit, les signes abondent, semant le doute chez lui : et si tout cela était vrai ? Et pourquoi donc cela est-il en train de se produire ?
Pour ceux qui ne seraient pas familiers du cinéma de Philippe Vallois et notamment ses dernières oeuvres, précisons qu’ils risquent peut-être d’être surpris, perturbés, par le ton de son film. Le jeu des acteurs est particulier, très écrit, différent de ce que l’on peut voir habituellement. Il peut demander un petit temps d’adaptation qui ne dure pas bien longtemps car comme toujours la délicieuse écriture de l’auteur fait qu’on embrasse son style et qu’on le suit dans son récit. Et le charme emporte tout sur son passage. L’inventivité, l’éternelle fraicheur, la drôlerie et la tendresse de ce cinéaste font qu’il pourrait nous embarquer n’importe où et nous faire croire à absolument tout. Comme à cette surprenante et très jolie histoire de doubles constituée d’un jeune pas encore tout à fait fini et d’un homme plus âgé complètement apaisé, affirmé et bien dans ses pompes.
Dès son apparition à l’écran, Philippe Vallois transcende son propre film avec un personnage irrésistiblement haut en couleurs, infiniment généreux, guidé par le geste ici vital de transmission. Même si l’intrigue se situe dans les années 1970, amenant une certaine vague de nostalgie, elle est complètement universelle et très touchante dans sa façon de matérialiser la rencontre entre deux personnes de générations différentes.
Petit à petit on comprend où l’intrigue veut nous emmener : Jean-Jacques, qui clame si fort être hétéro au point d’être parfois à la lisière de paroles homophobes est bien moins clair avec son orientation sexuelle qu’il n’en a l’air. Sa rencontre avec son « moi » plus vieux va lui permettre de se poser des questions, possiblement constituer l’opportunité de ne plus se mentir à lui-même, de ne plus refouler ou avoir honte de ses désirs. Enfin la langue du jeune Jean-Jacques finit par se délier et il avoue timidement avoir eu une expérience homosexuelle avec un employé de maison de sa petite amie, un très sexy homme arabe très à l’aise avec sa sexualité (incarné par le torride Lofti Zarouel).
Quel beau rêve, quelle belle idée que celle d’avoir la chance de croiser une version antérieure de soi-même, plus sage et expérimentée, pour nous éviter de rater notre vie ou d’emprunter de malheureux détours… Le côté « surnaturel » du film apporte son lot de moments drôles, cocasses et attachants mais aussi beaucoup d’émotion (comme lorsque le Jean-Jacques âgé insiste lourdement pour que sa version jeune fasse attention à l’avenir de toujours avoir des préservatifs sur lui alors qu’il risque de connaître l’euphorie gay des années 1970 suivie du couperet tragique des années Sida).
On ressort du film à la fois avec le sourire (pour ses nombreuses scènes désopilantes et ses répliques aussi vives que délirantes) et les yeux un peu mouillés par la belle histoire de transmission, de filiation, qui vient de se déployer et qui laisse les deux faces d’une même personne ,à des âges distincts, heureuse, apaisée, libre.
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023