CINEMA
L’ÉTRANGLEUR DE BOSTON de Richard Fleischer : scindement de l’écran et de la personnalité
Boston, 1962. Des petites vieilles sont retrouvées mortes dans leur appartement, étranglées. Les crimes se multiplient et finissent par toucher aussi bien les femmes plus âgées que les jeunes, les blanches que les noires. Qui est donc l’auteur de ces meurtres ? La panique règne dans la ville et chacun est invité à ne laisser entrer personne dans son domicile…
Alors que les médias font pression sur les forces de l’ordre, le procureur Bottomly (Henry Fonda) est chargé de prendre l’affaire en main. Avec ses collègues, il va traverser la ville à la recherche du désormais célèbre « Etrangleur de Boston ». Mais malgré les rencontres avec de nombreux tordus, les fausses pistes s’enchainent et les résultats peinent à survenir…Jusqu’à ce qu’un banal ouvrier, Alberto DiSalvo (Tony Curtis) se fasse arrêter pour avoir tenté d’entrer par effraction chez des inconnus. Ce père de famille apeuré est-il vraiment le sadique tant redouté ?
L’étrangleur de Boston est un film important dans l’Histoire du Cinéma puisqu’il est le premier long-métrage traditionnel à utiliser le procédé du split-screen. Procédé ponctuel, utilisé à bon escient pour augmenter le suspense de certaines scènes, renforcer la tension ou bien mettre en avant la peur et la paranoïa qui se propagent dans la ville. C’est définitivement une œuvre peu commune que livre Richard Fleischer, une sorte de photographie pessimiste du Boston (et globalement des villes américaines) du début des années 1960. Comme si la crainte de l’étrangleur ne suffisait pas, les citoyens sont en plus sous le choc de l’assassinat de JF Kennedy…
Alors que Bottomly cherche l’étrangleur, il rencontre tout un tas de marginaux. Une prostituée qui couche avec un homme qui aime lui faire mal et l’insulter pendant l’amour, un homosexuel qui chaque jour vit avec la crainte d’être victime d’un chantage (et qui ne manque pas de souligner qu’à chaque fois qu’il y a un crime pervers, les homos sont suspectés), un faux colonel qui a couché avec des centaines de femmes en se faisant passer pour un autre…Portraits sinistres ou amusants de personnages qui ont en commun leur solitude. Criminel, suspect, victime : chacun subit la solitude urbaine. On ne peut plus compter sur grand monde, on ne peut plus ouvrir la porte aux inconnus…
Ce qui est aussi plusieurs fois pointé du doigt, c’est l’utilisation des impôts que chacun paie. Les petites vieilles se demandent bien où passent toutes leurs cotisations, l’Etrangleur parvient à rentrer chez chacune de ses victimes en proposant des petits services (réparer ou changer le lavabo, donner un coup de peinture…). Comment refuser un peu d’aide gratuite ? Tout le monde se fait avoir au point que cela devient comique.
Mystérieux et haletant durant ses deux premiers tiers, le long-métrage opte pour un véritable virage scénaristique dans sa dernière partie en dévoilant l’identité de l’étrangleur. Dès lors, tout tournera autour de cet étrange personnage (qui a vraiment existé). Tony Curtis livre une performance sidérante et incarne à la perfection cet homme fou qui serait habité de deux âmes, deux personnalités complètement différentes. Quant le coupable est cinglé, la justice peut-elle quelque chose ? L’étrangleur de Boston devient alors une étrange œuvre sur la schizophrénie (thème qui donne tout son sens à l’utilisation du split-screen). La conclusion fait froid dans le dos, nous renvoie à notre propre capacité à être un monstre. Tout le monde pourrait, en succombant à la folie, involontairement, devenir un serial killer…
Film sorti en 1968 et disponible en DVD