FICTIONS LGBT
L’HOMME DE DÉSIR de Dominique Delouche : ambiguïtés
Etienne, écrivain chrétien, prend un jour en stop sur la route un jeune garçon rebelle, Rudy. Dans la voiture, la tension monte. Etienne ne peut s’empêcher de regarder avec insistance le jeune homme peu bavard, à tel point que cela devient presque indécent. L’ado, lui, vole discrètement de l’argent dans son porte-feuille. A peine l’a-t-il déposé qu’Etienne sent qu’une obsession est en train de naître. Il veut absolument le revoir. Rudy est un garçon à l’histoire personnelle floue, qui passe son temps à traîner dans les rues avec sa bande de voyous, faisant à moitié le tapin, volant et agressant physiquement des hommes venus chercher des jeunots pour un moment de plaisir. Etienne, lui, vit dans une belle maison avec sa femme Valentine qui le jour de son mariage lui a dit « Je t’aime trop pour n’aimer que toi ».
Le couple a visiblement une relation ouverte et il est sous-entendu qu’ils ont déjà vécue une relation triangulaire avec une jeune femme. Etienne parle ainsi plutôt librement de Rudy. Mais avec tout de même une certaine hypocrisie : il dit vouloir l’aider à se remettre dans le droit chemin quand en réalité il est obsédé par sa jeunesse et le désir qu’il lui porte. Rudy finit par accepter de le revoir et vient même passer un week end chez le couple bourgeois. Entre haine et désir refoulé, il finit par ne plus supporter l’atmosphère faussement calme d’un foyer où tout devient sujet à ambiguïté. Petit à petit, Etienne va se perdre dans sa fascination et son envie de posséder Rudy, au point de se faire du mal et de mettre sa propre vie en jeu…
Ouverture curieuse pour un film pour le moins inattendu. On assiste à une messe, le rituel de l’eucharistie. Don du corps, sacrifice. Suit la rencontre de l’intellectuel bourgeois Etienne et du jeune voyou imprévisible Rudy. On sent dès leurs premiers échanges une tension. Etienne est attiré, Rudy n’en veut qu’à son porte monnaie. Au fil de leurs rencontres et de leurs échanges, l’homme et le garçon vont tisser une drôle de relation, très instable et malsaine. Rudy trouve en Etienne un ami inattendu, une présence presque paternelle qui lui manque. Mais il voit bien qu’il y a dans son regard quelque chose de plus tordu. Etienne éprouve évidemment une affection paternelle pour lui, a envie de l’aider, de prendre soin de lui. Mais il est aussi dévoré par son désir d’en apprendre et d’en voir toujours plus sur lui, rongé par des envies charnelles qu’il peine à refouler. Il avoue à demi-mots et en la minimisant sa nouvelle fascination à sa femme Valentine. Sauf que tout est bien plus grave : il est en réalité obsédé par Rudy, finit par ne plus vivre que pour attendre de ses nouvelles, un hypothétique coup de fil. Derrière ses airs d’écrivain bon chic bon genre, clean et en ménage, Etienne est névrosé, se laisse dévorer par une passion et les pulsions qui vont avec qu’il parvient de moins en moins à contrôler.
Long-métrage doté d’un très beau noir et blanc, L’homme de désir foudroie par son ambiance à la fois étouffante et excitante. Les non-dits, les regards, traduisent toute la gêne, le désir et la frustration des personnages. Il émane des images quelque chose de très mystérieux et pervers. Entre Etienne et Rudy semble se développer un rapport SM qui ne dit pas son nom. De plus en plus conscient du désir d’Etienne à son égard, Rudy joue au chaud et au froid, à l’innocent ou au provocateur. Peut-être le désire-t-il aussi. Mais il ne peut s’empêcher de le haïr, de le mépriser, lui qui représente tout son contraire et dont il se sent pourtant étrangement proche. Surprenante histoire entre un voyou à deux doigts de la cleptomanie et un trentenaire faussement stable qui ne demande qu’à le vampiriser.
Le couple que forment Etienne et Valentine est lui aussi intrigant. Ils sont à la fois beau dans la liberté qu’ils représentent, leur façon de s’autoriser d’autres désirs sans remettre quoi que ce soit en cause. Mais leur honnêteté a ses limites. Valentine comme Etienne , s’ils s’aiment indiscutablement, sont plus perturbés qu’il ne le faudrait, jusqu’à la déraison, par leur jeune protégé. Tout le monde va finir par faire souffrir tout le monde.
Le rituel des rapports amoureux est un écho à l’introduction religieuse. Et on imagine bien qu’Etienne ne demande qu’à initier à de nombreux plaisirs le jeune Rudy. Si ce dernier apparaît d’abord comme le possible grand sacrifié de l’histoire, se retrouvant à la merci d’un couple plus âgé, bourgeois, aussi intelligent que pervers, c’est finalement Etienne qui se retrouvera plus bas que terre. C’est un personnage très fort d’homme perdu, consumé par son désir au point d’en perdre la raison, de se faire de plus en plus de mal. A plusieurs reprises le film dérange, travaille l’inconscient, apparaît comme un grand cauchemar éveillé (le dernier quart d’heure est ainsi foudroyant et effrayant, presque mystique). Des images puissantes , des sensations fortes : voilà une oeuvre qui secoue et interroge l’ambiguïté des relations entre échanges, pouvoirs, dons et abandons, quête de sincérité, de désir et manipulations. Oeuvre culte à (re)découvrir.
Film sorti en 1971. Disponible en DVD et VOD