CINEMA
LIBERTÉ d’Albert Serra : ensorcelante nuit noire
Véritable trip cinématographique, assurément expérimental, Liberté d’Albert Serra est de ces expériences à voir absolument en salles et qui déroutent et hypnotisent en même temps.
Le film nous amène à suivre plusieurs libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI cherchant à exporter le libertinage en Allemagne. Dans un bois proche d’un couvent de novices débute une nuit de liberté et d’excès où tout sera permis.
Étrangement, la scène la plus perturbante de ce long-métrage interdit aux moins de 16 ans n’est pas une scène de sexe. Elle apparait au début du métrage alors que, calmement, avec sa voix délicate et sensuelle, le jeune Duc de Wand (interprété par l’impeccable et troublant d’érotisme Baptiste Pinteaux) raconte avec une grande précision le récit d’un corps écartelé en public et la fascination morbide qu’elle a pu exercer.
Avec l’aide du Duc de Walchen commence une nuit de libertinage où les pulsions les plus extrêmes voire morbides vont pouvoir s’exprimer et se réaliser. On pense par moments au Salo de Pasolini, notamment par la faculté qu’a Albert Serra de jouer avec les limites de notre propre regard et de notre morale. Jusqu’où est-on prêt à regarder et jusqu’où ces hommes et ces femmes vont-ils aller ? Forcément le nom de Sade vient aussi en tête alors que la perversité s’étale avec malice sur grand écran.
C’est une oeuvre très exigeante, très contemplative et lente. On sent le temps passer, on se sent un peu pris en otage, voyeur, comme si l’on observait discrètement derrière un arbre ce qui est en train de se passer sans pouvoir s’échapper. On est au coeur d’une nuit noire, on entend les pas, les corps, les cris. On a parfois du mal à discerner si les corps sont féminins ou masculins, si les rapports sont hétérosexuels ou homosexuels, s’il est question de plaisir, de douleur ou les deux en même temps. Parfois, on ne sait plus ce que l’on entend ou l’on voit. On est perdu alors que tout le monde s’abandonne, entre dans une transe, sur un fil entre le désir, la pulsion sauvage et la répulsion.
Le libertinage est ici présenté sans jugement, dans ce qu’il a de plus jouissif pour ses adeptes et de plus amoral parfois. Les protagonistes sont à la fois très cérébraux, débitant des textes raffinés, et en même temps irrésistiblement attirés par le plaisir des pulsions les plus animales.
L’ensemble est éprouvant par moments, l’ennui n’est pas toujours loin mais quelque chose accroche. On finit par voir flou, par nous abandonner nous aussi et nous perdre dans une nuit où les tabous n’existent que pour être franchis, transgressés. Les acteurs donnent tout, la mise en scène enchaîne les plans très chorégraphiés, faisant songer à des tableaux. Clivant et magnétique, faisant l’effet d’une hallucination : un film inclassable et qui porte bien son titre.
Film sorti le 4 septembre 2019