FICTIONS LGBT
LIUBEN de Venci Kostov : un drame gay déchirant
Premier long-métrage en solo du réalisateur espagnol Venci Kostov, LIUBEN suit le retour dans son village natal bulgare d’un jeune étudiant et son coup de coeur pour un gitan orphelin un peu plus jeune que lui. Attention, drame déchirant.
Victor (Dimitar Nikolov), la vingtaine, est de retour dans le village bulgare de son enfance pour les funérailles de son grand-père. Un retour aux sources pour ce garçon désormais installé à Madrid avec son petit-ami « daddy » qui a peu été en contact avec son père depuis la séparation de celui-ci avec sa mère. En effet, un jour la maman de Victor a quitté celui-ci et a emmené avec elle son fils en ville.
Plutôt que de juste passer un ou deux jours sur place, Victor décide de prolonger son séjour pour essayer de se reconnecter avec son père. Un homme très différent de lui, dont on devine qu’il a pu être assez rustre par le passé mais qui a l’air de vouloir faire des efforts pour se rapprocher de son fils. Il lui a notamment aménagé tout un espace pour lui dans sa maison qu’il a retapé. S’il est au courant que Victor est gay, il n’aborde pas franchement le sujet avec lui, qui semble le mettre mal à l’aise.
Un jour, sur la route, Victor et son père se font alpaguer par un jeune gitan, Liuben (Bodijar Iankov Asenov) qui souhaite leur vendre des fruits. Assez grande gueule, un peu sans gêne, très spontané, le garçon amuse Victor. Les jours qui suivent, ils vont être amenés à se recroiser. Victor découvre la vie difficile de ce garçon qui approche de ses 18 ans et qui a grandi en étant orphelin. Sans le sou, il vit au jour le jour, dort dans un orphelinat, et essaie par tous les moyens de trouver de l’argent pour pouvoir entretenir sa petite amie qui est enceinte de lui et qui menace d’aller en Grèce pour vendre son enfant s’il ne trouve pas rapidement une solution pour leur offrir une belle vie. Victor réalise petit à petit à quel point Liuben vit dans la misère et aussi à quel point les gens de son village peuvent être odieux avec les gitans du coin qu’ils traitent avec un mépris, un racisme, une violence même pas dissimulés.
Bien qu’il sait que Liuben est en couple avec une fille, et bien que lui-même soit déjà en couple, Victor sent que quelque chose se passe. Il y a dès les premiers échanges une forme de tension, un jeu de séduction qui ne dit pas son nom entre les deux garçons. Alors qu’ils se rapprochent petit à petit, l’étau se resserre autour d’eux. D’un côté, le père de Victor et ceux qui l’entourent voient d’un mauvais oeil cette « mauvaise fréquentation » à leurs yeux. De l’autre, le sort semble s’acharner sur le pauvre Liuben . Malgré la violence qui les entourent, Victor et Liuben vont malgré tout tisser un lien unique et inoubliable.
C’est un film qui émeut et marque par petites touches. Le premier sujet est celui du transfuge de classe. Suivant sa mère et la nouvelle vie voulue par celle-ci, Victor est devenu un citadin bien installé à Madrid. On devine que sa vie là-bas est plutôt bien rangée. Il n’a pas de soucis d’argent, vit avec un homme plus âgé qui prend soin de lui. Mais cela n’a pas l’air de vraiment lui convenir. Il y a chez lui une forme de mal-être qui va de pair avec le besoin soudain de retrouver sa Terre natale, son père, cet endroit où il n’a pas toujours été heureux et pu être lui-même mais qui le ramène malgré tout à l’enfance. Devenant un jeune adulte, Victor se cherche, s’interroge. Il ne se sent pas tout à fait heureux avec son compagnon, il avouera plus tard le tromper occasionnellement avec des inconnus.
Sa rencontre avec Liuben va le bouleverser. Brut de décoffrage, Liuben est auréolé d’une forme de lumière. Il a les yeux qui brillent malgré toutes les épreuves atroces que la vie a pu lui infliger. Son coeur est pur, il a des rêves simples : vivre simplement une vie décente sans être dans le besoin, pouvoir avoir une famille, travailler. Son plus grand rêve serait d’ouvrir un salon de coiffure en Allemagne. Mais la réalité le rattrape constamment : personne ne veut lui donner du travail, on l’agresse en raison de ses origines, tout le monde le traite comme un moins que rien. Le film montre bien comment la violence de la société peut briser un être et le pousser à prendre de mauvaises décisions par colère et/ou désespoir.
Aux yeux de Liuben, Victor a tout. Et celui-ci est confronté à son statut privilégié alors qu’il passe de plus en plus de temps avec lui. Gentil et secrètement épris, Victor aimerait aider celui qui devient son nouvel ami. Il se prend en pleine face la dureté du quotidien de ceux qui n’ont pas eu la chance de naitre au bon endroit et qui se retrouvent bloqués et marginalisés.
La relation entre ces deux garçons contraires est très intéressante, parfois teintée d’ambivalence en raison de leurs différences de classes. Victor se sent coupable de ne pas être heureux alors qu’il a tout ce dont Liuben pourrait rêver d’avoir. Quand il est face à lui il ne sait pas vraiment sur quel pied danser et se demande si ce qu’il ressent pour lui est totalement à sens unique. Liuben peut lui donner l’impression de le séduire, de l’aguicher, mais le fait-il vraiment ou est-il simplement plus naturel, extraverti, à l’aise avec son corps ?
Alors que la vie de Liuben part de plus en plus à la dérive, Victor va devenir son seul véritable ami, le seul qui s’intéresse sincèrement à lui et qui lui donne de l’affection. La relation qui se matérialise entre eux est belle mais fait tout de même l’effet de dés pipés. Car sans le vouloir, par sa situation Victor a un ascendant sur Liuben (il lui prête de l’argent, lui fait des cadeaux, lui apporte la lueur d’espoir de peut-être pouvoir partir de ce village un jour). Liuben est-il vraiment épris de lui ? Le désire-t-il vraiment ? Les choses sont très complexes, floues, ambivalentes. Les proches de Liuben et les gens du village décrètent rapidement que celui-ci est avec Victor pour son argent (et lors d’une scène suscitant un réel malaise on voit d’autres garçons gitans qui disent à Victor que eux aussi peuvent lui donner « ce qu’il cherche »).
Les sentiments au sein de ce long-métrage sont riches en nuances et en questionnements, à l’instar de tout ce que peut ressentir le personnage de Victor qui est clairement dépassé. Il est attiré par Liuben, il a de l’affection pour lui, il veut le protéger, il est touché en plein coeur par son histoire et sa sensibilité et en même temps il a conscience du désespoir de celui-ci qui fait qu’ils ne sont pas vraiment sur un pied d’égalité. Du côté de Liuben on a l’impression qu’il aime Victor avec une certaine pureté. Il n’est pas gay mais il n’est jamais tombé sur quelqu’un qui soit aussi gentil, bon, attentionné avec lui et cela le touche et il a envie de se connecter à lui.
La dernière partie du film est hautement dévastatrice, très sombre, montrant les pires facettes de ce village à tous les niveaux. Que ce soit les gitans qui se déchirent entre eux, les habitants racistes ou l’horrible Police locale totalement corrompue : rien ne va ! Le final arrache le coeur.
Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023
Séances samedi 18 novembre à 10h30 au MK2 Beaubourg et Mardi 28 novembre à 22H au MK2 Quai de Seine