L’OBJET DE MON AFFECTION de Nicholas Hytner : rêve d’une famille nouvelle

George Hanson (Paul Rudd) est professeur en école élémentaire. Séduits par son spectacle de fin d’année (une adaptation fantaisiste de La petite sirène), les Miller, couple aisé et très influent à New York, l’invitent à dîner avec son compagnon, professeur à l’université. Le dîner tourne mal quand la demi-soeur de Constance Miller, Nina (Jennifer Aniston), fait une gaffe en révélant à George que son petit ami lui a demandé si elle avait une chambre de libre dans son appartement de Brooklyn. Le but étant d’accueillir George avec qui son petit ami ne souhaite visiblement plus vivre. Les deux hommes mettent les choses au point et George découvre que son partenaire le quitte pour un autre.

Il finit par aller vivre chez Nina. Comme lui, la jeune femme aspire à une vie simple : elle est assistante sociale, fuit les soirées mondaines, est en couple avec un avocat sans le sou : Vince. Une relation qui ne plaît pas à sa demi-soeur qui aimerait la marier à un golden boy. Et une relation qui n’est pas totalement du goût de Nina non plus, trouvant Vince trop macho, asphyxiant. La colocation entre George et Nina devient peu à peu leur rayon de soleil : ils peuvent tout partager ensemble, prennent des cours de danse à deux, mangent des pots de glace devant Singing in the rain… Cette amitié de plus en plus forte n’est pas vraiment du goût de Vince qui craint que sa petite amie ne tombe amoureuse de son coloc homo.

Les choses basculent quand Nina découvre qu’elle est enceinte : elle avoue à George qu’elle compte garder le bébé mais ne se voit pas l’élever avec Vince. Elle aimerait qu’ils l’élèvent ensemble. D’abord apeuré, George prend un peu ses distances. Mais alors que Nina s’éloigne de lui et se rapproche, plus par dépit qu’autre chose, de son petit ami d’avocat, il ressent un manque terrible. Il revient vers elle pour accepter son offre. Leur rêve de former un couple basé sur l’amitié, d’être des parents sans intimité charnelle partagée, finit par rencontrer de nombreuses embûches. Nina réalise qu’elle est amoureuse de George et qu’il ne peut lui rendre son amour. Et quand ce dernier rencontre un potentiel nouveau compagnon, les limites de leur engagement leur explosent au visage…

L’objet de mon affection est un drôle de film. Cela commence comme une comédie romantique atypique : l’amitié amoureuse d’une femme simple et rêveuse et d’un homme gay doux et attentionné. Ils peuvent tout partager ensemble à l’exception de la sexualité. Nina est une girl next door qui trouve son homme idéal en George, malheureusement pour elle homo. La relation entre les deux personnages est très touchante, joliment guimauve. On s’attache à ce couple hors norme, presque impossible, composé d’un homme et d’une femme qui rêvent d’amour et de simplicité.

Les choses se corsent avec la grossesse de Nina. En proposant à George d’être le père de son enfant plutôt qu’à son petit ami (qui rompt logiquement sur le champ), elle s’embarque dans une aventure inédite. Affranchis de l’image traditionnelle de la famille, George et Nina se mettent à rêver d’une nouvelle forme de parentalité, de couple. Comme Nina le fait remarquer à sa demi-soeur : peu importe qu’elle ne couche pas avec George, après tout la majorité des couples, après plusieurs années de vie commune, ne se touchent plus et la passion des débuts cède la place à une amitié complice. Mais ce que Nina refuse d’admettre, c’est qu’elle et George ne sont pas sur un pied d’égalité : elle le désire, lui non. Elle aimerait en faire son mari mais lui espère encore trouver un compagnon.

George se retrouve tiraillé entre son amour sincère pour Nina, qui est plus de l’ordre de la pure affection, de l’amitié fusionnelle, et son désir de trouver un homme avec qui former « un vrai couple ». Quand il entame une relation avec un jeune homme désireux de bâtir quelque chose avec lui, il commence à voir les limites de son pacte avec Nina, les difficultés qui s’annoncent pour mener une vie à la fois épanouie et assumer son rôle de père.

Très classique dans sa forme, ne lésinant pas sur les bons sentiments, le film de Nicholas Hytner est toutefois nettement plus audacieux qu’il n’y paraît dans son scénario. Il se plaît en effet à montrer de drôles de couples, des relations qui échappent à une norme asphyxiante. Alors qu’il est très difficile de trouver chaussure à son pied, l’amitié est le plus beau des refuges. En témoignent la relation sincère et intense entre George et Nina mais aussi celle, introduite en milieu de métrage, entre un vieil homme et son jeune protégé qui deviendra le nouvel amour de George.

Mais on ne se réfugie pas toute sa vie. Quand l’amour fait tourner la tête, on n’a pas envie de le laisser filer. La loyauté en amitié trouve ses limites et le désir personnel de se réaliser prend le dessus. On sent que l’utopie de Nina et George est vouée à l’échec, qu’ils sont de moins en moins sur la même longueur d’ondes, qu’ils n’ont pas les mêmes perspectives, n’attendent pas les mêmes choses chez l’autre.

On pouvait craindre un final un brin moralisateur mais le film opte pour une conclusion très belle et lumineuse, suggérant que la famille reste à réinventer. Un point de vue audacieux pour ce long-métrage sorti en 1998 qui marche beaucoup grâce au charme des acteurs, Jennifer Aniston et Paul Rudd (trop craquant !) en tête. Malgré une forme assez pauvre et quelques maladresses dans les dialogues, il s’agit là d’une belle fiction sur la possibilité de tenter de mener sa vie comme on l’entend, sans se soucier des schémas imposés.

Film sorti en 1998 et disponible en VOD