FICTIONS LGBT
LOOKING FOR SIMON de Jan Krüger : l’énigme de l’autre
Valerie (Corinna Harfouch) est inquiète : son fils Simon, avec qui elle a pris pour habitude de s’engueuler au téléphone, ne lui donne plus aucune nouvelle depuis leur dernière dispute. Elle quitte l’Allemagne pour aller à Marseille où il vit désormais. Mais l’appartement du fils est désert, les produits du frigo périmés. Ayant un mauvais pressentiment, la mère anxieuse se rend au poste de Police. Mais elle ne parle pas français et personne ne semble apte à l’aider. Elle appelle alors Jens (Nico Rogner), ex petit ami de Simon. Entre eux le courant n’était jamais passé, ils apprennent doucement à se connaître et logent dans le même hôtel. Quand Valerie fait part à Jens de ses inquiétudes, celui-ci tente de la faire relativiser : Simon était quelqu’un de plutôt imprévisible, la clinique dans laquelle il travaillait certifie qu’il est parti en vacances, probablement au Maroc où il rêvait de séjourner parait-il. Sauf que Valerie n’avait jamais eu vent de cette envie de voyage. Les jours passent et la mère et l’ex mènent leur enquête : ils fouillent l’appartement, regardent de vieilles cassettes dévoilant l’intimité de Simon, interrogent une de ses collègues proches, Camille… Cette dernière finit par révéler qu’elle a eu une relation avec lui et qu’ils avaient un moment projeté de vivre ensemble avant que leur relation ne décline. Une nouvelle information qui ne manque pas de perturber Valerie et Jens. Avant de disparaître, Simon avait également acheté une voiture de sport jaune. En se rendant dans le garage où la transaction a été effectuée, les deux enquêteurs en herbe font la connaissance de Jalil (Mehdi Dehbi), jeune marocain qui trouble instantanément Jens. Ce dernier croit percevoir chez lui quelque chose de louche. Et en effet, Jalil finit par lui révéler, plus tard, que lui aussi a eu une histoire avec Simon, qu’ils avaient projeté de partir ensemble au Maroc mais que cela ne s’est finalement pas fait. Simon a-t-il vraiment disparu ? Lui est-il arrivé quelque chose de grave ? Est-il encore en vie ?
Jan Krüger, réalisateur de l’intrigant Pente douce, nous plonge à nouveau en plein mystère avec Looking for Simon (Auf der suche en VO). Dès les premières minutes, une atmosphère étrange s’impose alors que les personnages, leurs aspirations, l’intrigue, se révèlent par petites touches. Cette sensation d’étrangeté est décuplée par le fait que Valerie et Jens parlent entre eux en allemand mais qu’ils se trouvent à Marseille; que Jens parle français comme s’il était parfaitement bilingue. Les langues qui se croisent, les conversations qui ne s’ouvrent pas à tous les personnages ne sont pas le fruit du hasard : c’est pour le réalisateur une façon subtile de montrer que dans chaque relation s’instaure un lien particulier, un langage, que dans chaque rapport à deux se dévoile une part de la personnalité qui peut rester secrète pour d’autres.
Le film a quelque chose de fantomatique. On y déambule, excité par les nombreux points d’interrogations qui entourent un personnage titre qui est de toutes les lèvres mais pourtant quasi-invisible. La réalisation, très belle, à la fois épurée et poétique, retranscrit ce sentiment bizarre que la vie et l’autre sont un mystère, que nous ne sommes que de passage. L’ensemble est très pudique et sensible, l’intimité , au départ forcée, qui se crée entre Valerie et Jens est faite de petites choses, d’activités partagées, d’une recherche commune, de confidences volées. Ils sont reliés l’un à l’autre par l’amour qu’ils portent à un Simon de plus en plus évanescent. Ce garçon disparu se révèle peu à peu comme un amoureux indécis, promettant la lune mais fuyant aux premières complications. Par le biais des confidences de sa mère, bizarrement dans la culpabilité, à la curiosité souvent mal placée, on apprend aussi qu’il n’était pas un fils de tout repos. Son image évolue au gré des révélations des uns et des autres : romantique, infidèle, homo, hétéro… Absent du champ, il est une toile blanche sur laquelle les différents personnages projettent leurs regrets, leur nostalgie, leur manque (amour perdu pour Jens / fils devenu grand pour Valerie). Et si malgré tout l’amour que chacun lui portait, Simon, était finalement victime de solitude, désemparé devant la propre énigme de sa vie ?
Dans ses 15 dernières minutes, Looking for Simon abandonne le mystère, nous offre la vérité telle qu’elle est : brutale. Pas de violons, à peine quelques petites explosions. Le monde est toujours là, les énigmes résolues d’hier cèdent leur place à de nouvelles, plus souterraines. Les décors et les gens sont les mêmes mais quelque chose a changé à jamais. Porté par l’étrange lien mère/fils de substitution entre Valerie et Jens, jouant des fantasmes de ses personnages comme ceux du spectateur, Looking for Simon est un film qui , en toute douceur et discrétion, affirme une belle personnalité, un charme indescriptible, vecteur d’émotions enfouies, difficilement qualifiables par des mots. Une variation sur l’identité, la solitude, le fantasme, qui ne manque pas de hanter.
Film produit en 2011 et disponible sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen