LOVE de Gaspar Noé : l’amour et la chair

Murphy (Karl Glusman), 25 ans, parisien, vit avec sa copine Omi (Klara Kristin) et leur bébé. Un matin, il trouve sur son répondeur un message de la mère de son ex, Electra (Aomi Muyock). Elle s’inquiète, sa fille a disparu. Visiblement peu amoureux de son actuelle compagne, Murphy prend la journée pour essayer de retrouver la trace de celle qu’il a tant aimée pendant deux ans et prend aussi l’Opium qu’elle lui avait offert peu de temps avant leur séparation. Chez lui, le garçon se souvient peu à peu, non sans mélancolie, de cette passion perdue.

Nouvelle expérience de cinéma signée Gaspar Noé, Love est sans aucun doute l’une de ses œuvres les plus maladroites en terme d’écriture. Les dialogues lorgnent régulièrement vers la sitcom ou les intros de porno, les jeunes acteurs ne trouvent pas toujours le ton juste, certaines situations sont amenées de façon laborieuse. On pourrait aussi reprocher au cinéaste provoc tout un tas de choses (la misogynie crasse et assumée de son personnage principal / le fait que comme par hasard la seule scène de sexe non explicite soit celle avec un personnage trans – par ailleurs tourné en dérision…) qui l’empêchent de délivrer un nouveau chef d’œuvre après l’hypnotique Enter the void. C’est qu’on attend toujours beaucoup de Gaspar Noé, réalisateur qui, quoi qu’on puisse penser de ses partis pris, est tout simplement l’un des plus grands et inspirés sur lesquels on peut compter en France. Et formellement, Love est tellement beau qu’on lui pardonne tout.

Certains pourront reprocher au projet son abstraction, son « manque de fond » (curieuse habitude de toujours dire qu’un film est vide quand il ne parle que d’amour, comme si ce n’était pas un vrai sujet) . Il est vrai que Gaspar Noé joue beaucoup des caricatures et reproduit des schémas classiques. En gros, son nouveau long-métrage est l’histoire d’un jeune aspirant réalisateur vaguement macho, nerveux, misogyne et beauf, qui regrette son premier grand amour. L’amour, c’est Electra, fille de bonne famille en apparence mais jeune femme « électrique » dans l’intimité. Le film retranscrit la fièvre des premières étreintes, l’envol, la passion qui se mêle à la destruction, la quête du toujours plus pour faire face à la routine, l’enfer de la tentation.

Ce qui est raconté est assez basique mais ce qui est montré est tout bonnement vertigineux. Aidé par une 3D de qualité, Love est une véritable aventure visuelle, une sorte d’énorme fantasme entre romantisme adolescent et sexualité bien adulte. Qu’on adhère ou pas aux états d’âmes de Murphy, on finit par être dans sa peau, à déambuler dans ses bribes de souvenirs déclenchant tout un tas d’émotions et de sensations. Les scènes de sexe sont magnifiques, alternant la tendresse et la baise, l’amour et la pure bestialité. Enfin un portrait d’une relation qui montre aussi ce qui se passe au lit, qui met la représentation du sexe au même niveau que le reste… ou presque. Car ici les ébats sont toujours un minimum sublimés. Les acteurs (que l’on aurait plutôt envie de désigner comme des performers pour l’animalité de leur interprétation) sont ultra charnels, doté de corps désirables dont on a l’impression de sentir et frôler les peaux. C’est beau, c’est chaud, c’est la vie.

De la première à la dernière seconde il n’y a à l’écran que du cinéma. C’est devenu tellement rare que rien que pour ça Love est à voir. On est ailleurs, on voyage, on se laisse étourdir par les étreintes, par une virée en sexclub, par le destin de ce jeune couple complètement mis à nu. Pop, coloré et primitif, le nouveau film de Gaspar Noé est bien une claque qui a le goût des premiers amours déchus et qui fait l’effet d’une drogue. Entre excitation et amertume se dessine le portrait d’un garçon jeune mais qui a déjà l’impression d’être totalement passé à côté de sa vie.

Imparfaite l’œuvre marque et provoque des choses comme peu peuvent se targuer de le faire. On a envie d’y revenir, on réalise des jours après l’avoir vu qu’il nous hante, qu’il touche à des choses intimes – fantasmes, peurs et autres rêves potentiellement envolés. Un grand film sensible qui ne dit pas son nom, une love story cachée sous l’hystérie et la violence, la beauté et la cruauté qui surgissent des corps et leurs rituels de plaisir.

Film sorti le 15 juillet 2015