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LUDWIG – LE CRÉPUSCULE DES DIEUX de Luchino Visconti : l’incompris

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Classique de Luchino Visconti, Ludwig – Le crépuscule des Dieux, nous emporte dans le quotidien de Louis II de Bavière de son règne à peine sorti de l’adolescence à sa chute dans la déchéance la plus totale.

C’est le portrait d’un roi qui se fiche pas mal de gouverner que dresse le cinéaste. Ludwig (Helmut Berger) apparait toujours déconnecté de la réalité, ailleurs, et ne semble vivre que pour ses lubies. Les mondanités, le protocole, les règles : il a tout cela en horreur. C’est ce qui le rapproche de sa cousine, la sublime Elisabeth d’Autriche (Romy Schneider), qui ne rate aucune occasion pour échapper aux devoirs qui la fatiguent en se prétendant « souffrante ». Le lien entre Ludwig et Elisabeth est très fort et le jeune roi n’a de cesse de mettre cette femme élégante et brillante sur un piédestal. Il lui voue un amour absolu et alors qu’il n’a jamais touché une femme, ce n’est qu’avec elle qu’il pourrait songer à se marier. Mais si à l’époque les mariages entre cousins ne posaient pas trop de problèmes, Elisabeth est déjà mariée et il lui est impossible de tout lâcher pour l’impétueux Ludwig.

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Si le cousin et la cousine se retrouvent sur beaucoup de choses et se comprennent parfois sans même avoir besoin de mots, ils n’ont pas les mêmes limites. Elisabeth sait jouer de ses privilèges et s’autorise des caprices mais dans les situations stratégiques sait témoigner de sagesse. Ludwig, lui, se comporte comme un adolescent en pleine crise. Il envoie valser toutes les obligations, se désintéresse de la vie du peuple et se laisse consumer par ses passions. Admirateur absolu de Richard Wagner, il va dépenser des sommes folles pour avoir le compositeur dans sa demeure et lui permettre de réaliser ses compositions et en particulier de monter Tristan et Isolde. Le roi espère trouver en l’artiste un ami. Ce dernier, hélas, va surtout profiter de la fascination qu’il exerce sur lui et tirer la corde jusqu’à l’extrême.

C’est ce qui touche dans le personnage de Ludwig : derrière sa froideur et son apparente nonchalance, c’est un garçon qui ne demande qu’à être aimé, trouver un ami, un confident, quelqu’un à qui il peut faire confiance. Avec son statut, il est forcément difficile de trouver des personnes sincères et loyales autour de soi et la dualité de Wagner dans leur relation va beaucoup le faire souffrir intérieurement. Il aura bien du mal à admettre que l’artiste a profité de lui. Elisabeth le décevra aussi à sa façon. Quand elle ne veut pas venir, elle ne vient pas (ainsi ne fera-t-elle pas l’honneur de sa venue lors de la représentation de Tristan et Isolde malgré l’insistance de son cousin) et elle ne donnera jamais à Ludwig toute l’affection qu’il espère d’elle. Stratège, elle essaiera de le pousser dans les bras de la jeune Sophie, avec plus ou moins de succès.

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Si au départ les lubies de Ludwig amusent, on réalise rapidement que la dépression voire la folie le guettent. Quand ce ne sera pas Wagner, son obsession se portera sur des comédiens ou sur la construction de châteaux ne servant à rien. Plus le temps passe, plus Ludwig est décrié, incompris et se referme sur lui-même. Il cède alors à l’autodestruction.

La dernière partie du métrage le montre ravagé, vivant en vase clos, entouré de jeunes éphèbes. Dès le départ, on avait deviné son homosexualité refoulée. Elle se matérialise peu à l’écran, davantage suggérée si ce n’est sur la fin où il est clair que les beaux garçons, qu’ils soient valets ou autres, sont les bienvenus. La façon qu’a Ludwig de vivre cette homosexualité est sous le signe de la culpabilité. On ne voit pas une réelle histoire d’amour, plus des attirances qu’il noie à grands coups de substances pour s’oublier.

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On retient de cette grande fresque aux décors et aux costumes somptueux l’interprétation magnétique de Helmut Berger mais aussi celle de Romy Schneider qui a accepté pour Visconti de se remettre dans la peau de « Sissi ». Elle est d’une beauté et d’une élégance foudroyantes et illumine chaque scène où elle est, montrant merveilleusement toute l’importance qu’a Elisabeth d’Autriche pour Ludwig. La mise en scène est superbe, s’apparentant de nombreuses fois à des tableaux de Maître. Et Visconti esquinte joliment le genre du film en costumes en nous entraînant dans une sorte de lent cauchemar, une fuite en avant infernale où règnent le mal-être, la solitude, le terrible sentiment d’être toujours incompris.

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Si la vision du film est exigeante en raison de sa durée de presque 4 heures (et il y a des longueurs car on est dans le quotidien d’un garçon qui s’ennuie copieusement), le portrait sensible et ténébreux de Ludwig captive. Ou l’histoire d’un roi qui ne pensait qu’à s’évader que par l’art pour fuir la réalité.

Film sorti en 1973. Disponible en DVD, VOD et sur Mycanal

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3