COURTS
Mathieu Morel retourne le festival Chéries Chéris avec « Aussi fort que tu peux »
C’est incontestablement un des meilleurs courts-métrages à thématique gay présenté au Festival Chéries Chéris 2019. « Aussi fort que tu peux » de Mathieu Morel est un très beau choc de cinéma et révèle un tout jeune cinéaste français hyper doué et sensible, à l’univers bien marqué. Ce jeune homme pornophile et admirateur de l’oeuvre de Guillaume Dustan a tout pour nous plaire. Coup de coeur.
L’histoire est celle de Virgile (Simon Royer), un garçon taciturne fraîchement sorti de l’adolescence. Il parle peu, est introverti, inhibé, enfantin (dans sa chambre, des peluches, dont un ourson qui le suit parfois en s’animant). On devine que Virgile a toujours été secrètement amoureux de son ami d’enfance Anthony (Jordan Rodrigues). Ils ne se voient plus beaucoup et communiquent la plupart du temps par écrans d’ordinateurs interposés.
Avec le temps, ils ont pris des chemins divergents. A l’opposé de Virgile, Anthony est un garçon très spontané, impulsif, extraverti, aventureux. Et en découvrant sa sexualité, il a été rapidement attiré par les extrêmes. Ce qui lui plait dans le sexe, ce sont les sensations fortes. Alors il aime rencontrer des mecs anonymes pour être traité en « lope », en « chienne », comme dans les vidéos les plus hard que l’on peut trouver sur les tubes. Cette quête de frissons le pousse à se mettre en danger, à s’abandonner à la noirceur des rapports extrêmes de domination-soumission. Il aime la défonce dans tous les sens du terme, ressort parfois de ses plans amoché, souillé.
Alors que Virgile et lui se voient en face à face, Anthony lui raconte tout, le provoque. Au coeur de la nuit sombre, les deux amis opposés se complètent et vont ,qui sait, peut-être pouvoir s’aimer.
On pense ici au cinéma de Yann Gonzalez ou au trop méconnu « Animals » de Marçal Forès. Mathieu Morel n’a qu’une vingtaine d’années mais témoigne d’une maîtrise assez folle côté mise en scène. Visuellement, c’est une grosse claque. On est aspiré, hypnotisé, par cette atmosphère nocturne, un mélange hyper réussi de violence, de désir, de mélancolie et d’amour. Les deux garçons du film sont complètement contraires et magnifiquement complémentaires. Comment ne pas craquer face à la douceur, la timidité et le côté gauche et pur de Virgile ? Anthony, par ses récits scabreux et ses provocations le chamboule, réveille peut-être des choses enfouies en lui.
Face à son ami, Anthony se montre sans filet, tel qu’il est, dans sa beauté et sa bestialité la plus totale. Le beau et le sale fusionnent naturellement ici, dessinant peu à peu une forme d’amour total, loin des conventions, de la morale. Parce qu’il n’y a rien de plus beau que d’accepter l’autre dans sa complexité, sa dualité, pour sa sensibilité comme sa noirceur. Aimer l’autre pour sa lumière et accepter ses ténèbres, sans juger. Certaines images perturbent par leur crudité. Le jeune cinéaste est à l’évidence attiré par l’obscurité, l’aspect le plus primitif de la sexualité ici vécue par le personnage d’Anthony à la fois comme un territoire de jeu, comme une sorte de monde secret et labyrinthique, un exutoire.
Mathieu Morel dessine des tableaux d’une beauté esthétique folle, s’autorise quelques facéties avec des inserts vintage ou explicites, joue habilement avec le rythme (la frénésie des rapports charnels, le calme et les silences qu’on peut avoir avec ceux avec qui il n’est plus nécessaire de parler pour se comprendre). Son film témoigne d’une force magnétique, nous aspire comme un trou noir. Aussi fort que tu peux est à la fois romantique et nihiliste, lumineux et sombre, beau et violent, touchant en plein coeur tout en titillant nos ardeurs. Une grosse promesse de cinéma pour un jeune auteur qu’on va suivre de très près.
Film présenté au Festival Chéries Chéris 2019