MONEYBOYS de C.B. Yi : au fil de l’eau

By Gaspard Granaud | 4 décembre 2021

Premier long-métrage du réalisateur C.B. Yi (Yilin Chen Bo) présenté à Cannes 2021, Moneyboys suit l’évolution d’un jeune chinois qui va user de ses charmes pour subvenir aux besoins de sa famille et aussi pour son propre confort ainsi que ses dilemmes amoureux. Un beau drame prometteur. 

Fei (Kai Ko) vit dans une petite ville de Chine. Pour aider sa famille modeste, il loue secrètement ses charmes à des hommes de passage. Alors qu’il rencontre le beau Xiaolai (JC Lin), une passion semble se dessiner. Xiaolai s’attache très vite, peut-être un peu trop, et s’inquiète beaucoup des activités de celui qu’il aimerait voir devenir son compagnon. Après une passe qui a mal tourné, Xiaolai entend venger Fei mais l’agresseur, un homme influent, va avoir le dernier mot et l’envoyer en prison. Se sentant impuissant face à la situation et pensant surtout à sauver sa propre peau, Fei prend la fuite, disparait et va s’installer en ville. 

Le temps passe et Fei s’endurcit, mène une existence plutôt solitaire dans un joli appartement. Il apprend que Xiaolai a été libéré de prison et qu’il boite, ne cherche pas à le revoir. Lors d’un retour dans son village natal, il réalise que sa famille, si elle accepte son argent, est loin de cautionner son homosexualité et son travail. Dans une Chine rurale très arriérée, quand il s’agit d’homosexualité, Fei n’a plus trop sa place et retourne vite en ville où on ne lui reprochera plus de déshonorer les siens et où on ne cherchera pas à le marier avec la première femme qui passe. 

Et voilà que surgit par surprise dans son quotidien Long (Bai Yufan), un garçon plus jeune qui a grandi dans le même village que lui et qui lui demande des conseils pour mener une vie plus confortable en ville. Fei ne veut pas entendre qu’il serait prêt lui aussi à donner de son corps et lui trouve un petit boulot. Mais Long ne va en faire qu’à sa tête et emprunter le même chemin que Fei. Ils vont petit à petit se rapprocher, Long en pinçant clairement pour son ami et étant du genre persévérant. Mais alors qu’ils commencent à former un couple uni, voilà que Xiaolai revient dans la vie de Fei, le confrontant à son passé, ses erreurs, et l’interrogeant sur son futur… 

Il y a une belle promesse de cinéma dans ce premier long-métrage chinois. C.B. Yi se distingue déjà par la qualité de son écriture, dense, profonde, sensible. Moneyboys parle d’une jeunesse chinoise prête à tout pour s’en sortir, du mirage du capitalisme (les jeunes mâles n’ont pas trop d’état d’âmes quand il s’agit de louer leur corps pour s’offrir ensuite de beaux vêtements), de l’homophobie persistante en Chine tout en jouant avec brio la carte du mélodrame sentimental avec notamment un triangle amoureux amené en douceur. 

Côté forme, l’ensemble est également particulièrement abouti. Photographie sophistiquée, de très beaux cadres, un talent indéniable pour filmer les décors naturels ou urbains, l’utilisation subtile de l’eau comme motif évoquant l’évolution fluctuante de son personnage principal. Si C.B. Yi succombe parfois trop à la contemplation (le film dure près de deux heures et des longueurs se font parfois sentir), il rend la quête existentielle et sentimentale du jeune Fei attachante et universelle. Celui qui a tendance à séparer le corps du coeur va petit à petit se retrouver face au dilemme bien connu entre l’amour passion et le couple serein « de raison ». 

Filmant des choses parfois dures avec une certaine douceur et poésie, s’appuyant sur une très belle photographie, touchant et enivrant, Moneyboys se révèle également moderne dans les thématiques qu’il aborde, notamment dans sa dernière partie qui redessine les contours du couple et pose la question simple de savoir jusqu’où chaque personnage est prêt à aller par amour. 

Film présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris. Sortie en salles le 23 février 2022