FICTIONS LGBT
MOONLIGHT de Barry Jenkins : après les coups
Banlieue de Miami. Père inexistant, mère prostituée et droguée : le jeune Chiron n’a pas vraiment d’équilibre. Il n’est qu’un petit garçon mais sa vie est déjà rythmée par la violence et les désillusions. Régulièrement, les autres garçons du quartier s’amusent à le tabasser. Il n’y a que Kevin qui s’intéresse à lui et l’incite à davantage se défendre. Un jour, alors qu’il se cache dans une planque de junkies pour éviter d’être la cible d’une nouvelle agression, Chiron est secouru par Juan, un dealer tendre qui va prendre soin de lui et lui offrir un peu d’apaisement. Juan lui présente sa copine Teresa/ Le couple se prend d’affection pour ce garçon taciturne et différent. Ils deviendront sa famille de substitution. Le temps passe et nous accompagnons Chiron de son enfance à l’adolescence puis jusqu’à l’âge adulte. Si âgé d’une quinzaine d’années les brimades sont encore légion, la révolte gronde…
Deuxième long-métrage de Barry Jenkins, « Moonlight » est une sorte d’exception. Film à thématique gay, il a bénéficié d’une sortie d’envergure et s’est même retrouvé propulsé dans la course aux Oscars. C’est que le projet, adapté d’une pièce, a quelque chose de profondément universel. Et il faut admettre que le réalisateur déploie une mise en scène extrêmement puissante tout en témoignant de grandes qualités d’écriture.
Nous suivons le personnage ,fragile et très touchant, de Chiron à trois âges différents. Enfance, adolescence et âge adulte. L’enfance a un goût amer : pas le temps de rêver, la dureté du monde frappe le petit garçon. Il ne peut compter sur sa mère, les autres sont une menace permanente. Il n’a rien fait mais il est pris pour cible par les jeunes du quartier. Tout simplement parce qu’il est différent. Le seul rayon de soleil dans ce quotidien difficile est la présence de Juan et Teresa. Ils sont bienveillants, doux, ils l’apaisent et lui donnent du courage.
Pendant l’adolescence, les choses s’accélèrent : la mère droguée touche le fond de l’addiction, les coups deviennent de plus en plus violents, Chiron comprend qu’il est gay et ne sait comment gérer ses premiers désirs. L’heure de la révolte est proche. Toujours présent en arrière plan, Kevin, le seul ami, dont on devine qu’il se sent à demi-mots proche de Chiron. A l’âge adulte, alors que ce dernier se sera transformé, devenant une sorte de forteresse, Kevin pourrait constituer une clé pour l’avenir.
Si on pouvait craindre un drame indé larmoyant, Barry Jenkins s’en sort avec les honneurs. Il n’en fait jamais trop. Certains passages mouillent bien les yeux mais il est plus question ici d’une énorme mélancolie. A la violence et l’homophobie s’oppose l’humanité bouleversante de certains personnages. Surtout, les différents protagonistes sont pleins de nuances. Ce n’est pas parce qu’on est un dealer qu’on ne peut pas être un mec bien, ce n’est pas parce que l’on commet un acte terrible qu’on est inhumain et impardonnable.
Face à la misère sociale, à la dureté des quartiers chauds où il est aisé de tomber dans la délinquance et le petit banditisme, face au poids de la masculinité, aux codes des banlieues, aux injustices et aux intolérances, des liens d’amour puissants naissent comme autant de caresses après les coups. Cette vie qui défile sous nos yeux, qui retient notre souffle, trouve un écho profond chez le spectateur. Grand film.
Film sorti au cinéma le 1er février 2017 // Disponible en DVD et VOD