FICTIONS LGBT
NÉS EN 68 d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau : de la liberté au Sida
1968, la révolte étudiante bat son plein. Un groupe de jeunes militants rêve de refaire le monde et de vivre dans une société plus « Peace and Love ». Mais ils réalisent rapidement que malgré Mai 68, leurs proches finissent par se ranger et oublient l’utopie d’une société plus égalitaire, juste, et où l’amour s’exprimerait enfin librement. Ils décident alors de former une communauté, loin de la ville et de ses tracas capitalistes.
Dans une ferme qu’ils retapent dans un petit village isolé, ils partagent tout. Que ce soit les produits de leur modeste récolte ou leurs corps. Mais voilà, l’amour très libre et la vie au grand air ne suffit pas à tous et petit à petit la communauté se réduit, éclate. Et le trio à l’origine du groupe, Catherine (Laetitia Casta), Yves (Yannick Rénier) et Hervé (Yann Trégouët) se divise suite à un tragique accident.
Alors que les décennies défilent, Hervé finit en prison, Yves se range et se trouve une femme, Dominique (Marilyne Canto). Catherine est la seule à rester dans la ferme. De cette époque pleine de rêves et d’illusions ont émané des enfants. Ceux de Catherine et de Yves, Boris (Théo Frilet) et Ludmilla (Sabrina Seyvecou), celui des voisins de Catherine, Christophe (Edouard Collin).
Vivant dans les années 2000, ces jeunes n’ont plus vraiment d’idéaux mais vivent et aiment avec une certaine liberté. Ainsi, Boris aime Christophe et Ludmilla s’apprête à se marier avec Farivar (Slimane Yefsah). Le rapport aux parents demeure assez complexe. Catherine passe limite pour une excentrique aux yeux de sa fille qui pour sa part tient à mener une vie la plus rangée possible et Yves semble complètement dépassé par la société moderne et pleure alors que Le Pen passe au second tour. Alors que les années sida battent tristement leur plein, de nouvelles luttes commencent…
Pas facile ! Ducastel et Martineau se sont engagés dans un projet très ambitieux avec ce Nés en 68. Près de trois heures pour brasser quarante années, de Mai 68 à nos jours avec une galerie de personnages pour le moins volumineuse. Un projet trop grand pour eux ? Même si cela fait mal de l’admettre, c’est bien le cas. Plus sentimental que politique, leur film ne manque pourtant pas de charme et parvient à rendre quasiment tous ses personnages attachants. Et vu à quel point ils sont nombreux, cela relève de l’exploit. Là où cela pêche, c’est plutôt du côté de la réalisation. Manque de moyens ? Peut -être… Mais il y a définitivement un petit problème de rythme : on sent par moments les trois heures passer.
Globalement, il est possible de scinder le film en deux. Une première partie sur Mai 68, ses rêves et ses désillusions avec le trio Casta/Rénier/Trégouët. Et une deuxième partie sur la génération 2000 et les années sida , portée par le couple gay Frilet/Collin. On serait du coup tentés de se demander quelle partie est la meilleure. Pas vraiment possible d’apporter une réponse. Car chacun de ces segments possède ses qualités et ses défauts.
Dans la première partie, on s’attache bien sûr à la quête de ces jeunes de 68 et on s’amuse et s’émeut face à leur vie en communauté et la perte progressive de leurs idéaux. Si Yannick Rénier et Yann Trégouët sont parfaits, on aura plus de retenue concernant Laetitia Casta. L’actrice tombe sur un rôle en or, un personnage fort autour duquel s’articule pratiquement tout le film. Mais Laetitia Casta était-elle vraiment taillée pour le rôle ? Si elle s’en sort relativement bien, l’actrice parait un peu trop lisse pour un personnage qui aurait gagné en épaisseur, nuance, complexité. Si on s’attache tout de même au personnage pilier qu’est Catherine, on regrettera qu’il soit par moments trop naïf. Globalement, la première partie fonctionne relativement bien avec des personnages pas trop clichés et des interprètes de qualité (chapeau au couple qui interprète les voisins de la bande de 68, les époux Marc et Christine Citti).
La deuxième partie est poignante. Car il y a une certaine nostalgie de 68, cette époque révolue. Bien que les réalisateurs se défendent d’avoir voulu être nostalgiques, il suffit de voir les regards du personnage de Yannick Rénier face aux infos et la volonté de continuer du personnage de Laetitia Casta pour comprendre à quel point cette période à part de leur vie leur manque. Beaucoup d’émotions encore donc, même si il faut avouer que les maquilleurs n’ont pas fait des prouesses pour vieillir de façon crédible les personnages. Exemple le plus parlant, Laetitia Casta (et oui, encore…). Au début bien trop vieille pour être crédible en étudiante et à la fin bien trop jeune pour être crédible en tant que grand-mère.
Ce « chapitre 2 » est plutôt centré sur la romance gay de Boris et Christophe qui vont être touchés de plein fouet par le Sida. On sait à quel point ce thème est cher aux deux réalisateurs. Une fois de plus , ils le traitent avec beaucoup de justesse. Mais là encore on se pose des questions sur le casting. Si Théo Frilet est juste phénoménal dans le rôle de Boris et témoigne d’une justesse à toute épreuve, l’interprétation d’Edouard Collin est maladroite. On l’avait pourtant trouvé très bon dans le précédent film de Ducastel et Martineau, Crustacés et coquillages…
Au final, on a l’impression d’assister à une oeuvre très « fouillie ». On ressort de la salle assez ému, plutôt conquis mais avec l’impression d’y avoir passé la journée et quelques trucs en travers de la gorge. Pas vraiment réussi mais pas raté non plus, Nés en 68 est un objet cinématographique assez bizarre, entre moments de grâce et de pure émotion et erreurs de casting et passages creux. Peut-être le « film maudit » de ses deux auteurs, ce qui pourra le rendre plus aimable au fil du temps…
Film sorti en 2008