CINEMA
NOIR OCÉAN de Marion Hänsel : mission de garçons
Mystère, étrangeté et jolis garçons filmés avec désir dans Noir Océan, le troublant film de Marion Hänsel.
1972. Une bande de jeunes garçons est à bord d’un navire de la Marine Française. Quotidien en huis clos, dynamique de groupe parfois difficile, poids de la solitude loin de tous ses proches. L’eau est bleue, le soleil brille mais les marins ont souvent l’air ailleurs. Tâches rébarbatives, entraînements épuisants, objectifs flous : personne ne sait vraiment vers où le navire va, quel est l’objectif précis de la mission. Un après-midi, le mystère est rompu. Les jeunes hommes vont participer malgré eux aux essais nucléaires de Mururoa…
Adapté de faits réels et de deux nouvelles d’Hubert Mingarelli, Noir Océan est une œuvre à la fois très mystérieuse et sensuelle. La réalisatrice Marion Hänsel aime jouer avec les non-dits et prend le risque de laisser en rade quelques spectateurs, pas vraiment adeptes des films abstraits. Pourtant, pour peu qu’on décide de s’y abandonner, Noir Océan se révèle bel et bien être un long-métrage fascinant, hypnotique, capturant la grâce, la beauté volée de jeunes garçons dont on ne sait jamais bien s’ils se sont retrouvés dans la Marine de leur plein gré ou non.
Le film s’attarde sur trois protagonistes en particulier. Massina (Nicolas Robin), le regard rêveur, l’air doux, qui passe son temps à s’occuper d’un chien qu’il vient de recueillir. Moriaty (Adrien Jolivet) le rebelle, peut-être le plus lucide de l’équipage et donc celui qui souffrira le plus des conséquences des essais nucléaires. Et enfin Da Maggio , un solitaire malgré lui, souffre douleur de ses camarades, qui passe son temps à tout photographier pour donner des nouvelles à ses parents en réarrangeant la réalité. Ces trois personnalités différentes vont devoir composer avec le groupe. Ambiance très masculine : les soirées à picoler et à jouer aux cartes, les blagues potaches et autres railleries, les affrontements pour affirmer sa virilité…
Volontairement assez taiseux, le projet a son lot de maladresses. Les acteurs pas toujours bien dirigés quand ils se mettent à parler, des enjeux pas faciles à cerner…Mais il y a là tant de beauté, un traitement tellement surprenant pour un sujet si grave, qu’on ne peut être que saisi de curiosité. On pourrait regarder des heures ces visages d’une jeunesse contemplant l’immensité de l’océan, semblant par moments au cœur de tableaux impressionnistes. Il y a de l’onirisme en même temps qu’une fatalité, un impossible retour vers l’insouciance. Après ce voyage, après avoir découvert la vérité, ils ne pourront plus jamais être comme avant.
Délicat et sensuel, teinté d’homo-érotisme, d’ambiguïté, ce projet de Marion Hänsel a tout d’un rêve éveillé alors qu’il réveille des cauchemars enfouis. Un fragile équilibre entre pureté et désespoir. Un passage à l’âge adulte faussement naïf et indéniablement mélancolique.
Film sorti en 2011 et disponible en VOD