CINEMA

PARIS, TEXAS de Wim Wenders : retrouvailles et pertes

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Texas. Au beau milieu de nulle part, Travis Henderson (Harry Dean Stanton), vagabond, cherche désespérément à boire avant de s’écrouler au sol dans un bar. Il est placé dans une sorte de clinique qui appelle son frère, Walt (Dean Stockwell), pour qu’il vienne le chercher et régler ses dettes. Cet appel est pour Walt une surprise de taille : cela faisait 4 ans que son frangin avait disparu et qu’il cherchait désespérément à le retrouver. Travis avait laissé derrière lui son petit garçon, Hunter, alors âgé de 3 ans, que Walt a élevé pendant les années écoulées avec sa femme, Anne (Aurore Clément).

Quand il quitte L.A. pour retrouver son frère au Texas, Walt comprend que les retrouvailles ne vont pas être simples : Travis est profondément abîmé par la vie, ressemble à un clochard, n’est plus capable de parler. Il tient à le ramener chez lui mais la route sera longue : Travis ne veut pas prendre l’avion. Le retour à L.A. est intense : l’ancien disparu se retrouve soudain nez à nez avec le fils qu’il avait abandonné et peine à recréer un lien avec lui. De son côté, Anne craint de perdre du jour au lendemain l’enfant qu’elle a aimé comme étant le sien pendant quatre années.

Au fil des jours, Travis retrouve assez de force pour décider de se confronter à son énigmatique passé. Apprenant que son ex compagne, Jane (Natassja Kinski), verse tous les 5 du mois de l’argent sur un compte pour le petit Hunter, il entreprend d’essayer de la trouver pour une confrontation qui sera à l’évidence déterminante. Contre toute attente, Hunter insiste pour l’accompagner, sans demander l’avis de ses parents adoptifs. Le père et le fils partent alors pour un voyage qu’ils n’oublieront pas…

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Palme d’or au Festival de Cannes en 1984, Paris, Texas est à juste titre considéré comme l’un des plus grands films de son auteur et un chef d’oeuvre à part entière. Le début du métrage nous plonge dans une relative incertitude : on ne sait absolument pas à quoi s’attendre en suivant Travis, homme cabossé par la vie, qui retrouve son frère Walt. Les plans s’étirent, Wim Wenders prend son temps, sublimant au passage les magnifiques décors naturels ou les intérieurs diablement cinématographiques. Plus le temps passe et plus le récit gagne en intensité jusqu’à un final absolument déchirant.

Le film peut se scinder en deux parties. La première marque le retour lent et difficile de Travis à la vie. Il avait fuit son quotidien et ses proches pour des raisons dont il tient à garder le secret. On devine que les quatre années écoulées ont été rudes et solitaires. C’est littéralement un homme à terre que nous découvrons lors des premières minutes. Grâce au soutien et la bienveillance de son frère Walt, Travis se reconnecte au monde. Il essaie de retisser des liens avec son fils, prend à nouveau soin de lui et peu à peu décide d’affronter ses fantômes. La deuxième partie est articulée autour de la confrontation entre Travis et son ex compagne, bien plus jeune que lui, Jane. Dans l’intérieur d’un peep show fantasmatique, les anciens amants se retrouvent. Ils sont séparés par une vitre sans tain : il peut la voir, elle non. Elle ne reconnaît pas sa voix. Chaque cabine du peep show dispose d’une décoration artificielle singulière (une piscine, une chambre d’hôtel…). Alors que le mystère de la fuite de Travis se dévoile, le spectateur assiste à l’un des plus beaux duels vus au cinéma. Si l’écriture s’était déjà révélée jusqu’alors d’une belle élégance, le texte de ces scènes, très poétique et infiniment bouleversant, font l’effet d’un véritable crève-coeur. Et les acteurs sont magnifiques.

Paris, Texas dresse avec une extrême sensibilité et retenue le portrait d’un amour brisé, d’une vie amochée, de la beauté et de la cruauté de l’existence. Des retrouvailles inattendues qui changent tout en quelques secondes, sources à la fois de bonheur et de douleur (on pense aux parents adoptifs de Hunter qui, mine de rien, voient leur pire angoisse se réaliser). Le titre du film est une double référence au passé de Travis. Une référence tout d’abord à son père qui avait rencontré sa mère à Paris, dans le Texas, et qui adorait faire croire aux gens qu’il l’avait connue en France, jusqu’à finir par y croire lui-même, se duper. Cette terre du passé, où Travis pense avoir été conçu, est souvent évoquée. La deuxième référence qu’elle évoque est le fait que Travis, soucieux de se reconnecter à ses origines, y avait acheté un terrain où il pensait venir vivre avec Jane et leur enfant. Une sorte de paradis perdu en somme.

La mise en scène aérienne et gracieuse, la grandeur du scénario et la force des émotions font assurément de Paris, Texas un véritable monument du cinéma. Une œuvre dense et intime qui laisse son empreinte et de laquelle on ressort chamboulé.

Film sorti en 1984 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3