CINEMA
PAS SON GENRE de Lucas Belvaux : barrières
Clément (Loïc Corbery) est auteur et professeur de philosophie. Venant d’une famille bourgeoise, il évolue dans un microcosme parisien intello et s’interroge en permanence sur l’amour. Un mystère pour lui qui en a fait le sujet de son livre bien qu’il soit incapable d’envisager la notion de couple. Après avoir brisé le cœur d’une nouvelle partenaire, faute de pouvoir s’engager, le charmant philosophe apprend une nouvelle qui ne le réjouit guère : il est muté à Arras.
Arrivé sur place, il dort à l’hôtel et est ravi qu’on lui propose un emploi du temps arrangeant (il donne ses cours du lundi au mercredi et peut ainsi rentrer à Paris pour la fin de semaine). Il se lie avec une de ses collègues, admiratrice de ses écrits, qui a comme lui la Province en horreur. Le quotidien de cet intellectuel moins ouvert d’esprit qu’il ne le pense bascule quand il tombe sous le charme d’une jeune coiffeuse, Jennifer (Emilie Dequenne). Elle est l’exact opposé de toutes les femmes qu’il a pu connaître jusqu’alors : pétillante, simple, charnelle, lisant Anna Gavalda, la presse people, vouant un culte à Jenifer Aniston et se produisant dans des bars karaokés. Séducteur, Clément lui fait la cour. La belle résiste : elle a déjà eu des déceptions avec les hommes, élève seule son petit garçon, n’a pas envie que l’on se moque d’elle.
Elle se laisse pourtant fasciner par cet homme qui la regarde droit dans les yeux, semblant sonder son âme, qui l’initie à des œuvres dont elle n’avait jamais entendu parler avec une passion contagieuse. Leurs grosses différences, sociales et intellectuelles, leur permettent de se compléter. Mais subsiste le regard des autres, les codes de la société. Alors que Jennifer déclare sa flamme à son prince charmant, elle découvre qu’il est émotionnellement froid. Elle entrevoit également qu’il n’assume pas totalement leur relation. Pourront-ils vraiment s’aimer au-delà des clichés et des barrières qui les séparent ?
Lucas Belvaux revient à un cinéma plus sentimental avec Pas son genre, adaptation du livre éponyme de Philippe Vilain. Ce nouveau long-métrage n’est pas moins social pour autant. L’amour pourrait être l’un des derniers moyens de faire exploser les barrières. Sauf que le film tend à montrer qu’aujourd’hui encore il est bien difficile de pouvoir aimer sans tenir compte de son entourage, de son milieu. Jennifer est un véritable éblouissement : pleine de joie de vivre, apte à profiter des plaisirs simples de la vie, elle accepte le bonheur les bras ouverts. Pour Clément, c’est plus compliqué. Intello, prise de tête, il a tendance à avoir un avis un poil arrêté sur tout, juge avec un petit air supérieur. La jolie coiffeuse l’attire physiquement, c’est indéniable. Ils finissent par faire l’amour dans sa chambre d’hôtel, leurs corps fusionnent merveilleusement. Mais il n’y a pas que le plaisir charnel. Quelque chose le touche chez cette fille. Justement car elle n’est ne correspond pas à son genre habituel. Elle apporte une fraîcheur inattendue dans sa vie, le reconnecte à des émotions et sensations enfouies (le très beau passage en boîte de nuit où le philosophe parvient à se lâcher, oubliant ses préjugés, se moquant du potentiel côté beauf de la situation). Hélas, il semblerait qu’une petite voix dans sa tête l’empêche de totalement s’ouvrir à cette opportunité d’aimer. Quand Jennifer et lui se retrouvent nez à nez face à une de ses collègues, il ne la présente même pas. Honte.
Pas son genre joue avec les codes de la comédie romantique, en restitue la magie, les couleurs, même s’il est d’emblée suggéré que tout cela pourrait très mal finir. Les premières scènes nous présentent Clément comme un être indifférent, percevant l’amour comme un étrange concept, incapable de s’investir, bien trop centré sur lui-même. Face à Jennifer qui se livre sans retenue, il garde une certaine distance, contemple plus qu’il n’est. Si leur relation fonctionne, c’est avant tout parce que la jeune femme s’adapte à son univers. Bien qu’elle ne comprenne pas tout, elle s’intéresse, admirative. Mais qu’obtient-elle en retour de toute cette attention ? Petit à petit, Jennifer voit se dessiner les travers de celui dont elle est tombée amoureuse, comprend qu’il peut être toxique pour elle.
Jouant de façon gourmande avec les clichés, Lucas Belvaux délivre un film à la fois drôle et cruel, faisant autant rêver qu’il fait froid dans le dos. Sa mise en scène s’attarde beaucoup sur les visages de ses personnages, leur façon de se regarder, de se sonder. De quoi retranscrire la fièvre et la douleur, la magie et l’horreur de l’amour. Ses deux comédiens sont superbes : Loïc Corbery est parfaitement ambigu en séducteur sensuel et dangereux et Emilie Dequenne une fois de plus bouleversante et surprenante dans un registre solaire et fragile. Un film un peu dur, tristement vrai, profond.
Film sorti le 30 avril 2014. Disponible en DVD et VOD.