FICTIONS LGBT

PATAGONIA de Simone Bozzelli : embrasé 

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Premier long-métrage du réalisateur Simone Bozzelli, Patagonia raconte la rencontre pleine d’ambivalence entre un jeune gay paumé de 20 ans et un magnétique bad boy bisexuel. Le feu de la passion va vite tout embraser… 

Yuri (Andrea Fuorto), bientôt 20 ans, vit dans un petit village en Italie. Différent, un peu autiste sur les bords, il apparait comme un être fragile qui a constamment du mal à trouver sa place. Ayant l’air d’avoir peur de tout, n’ayant aucun ami, il travaille dans la boucherie de sa mère qui le traite encore comme un petit garçon. 

Un jour il se rend à l’anniversaire d’un de ses petits neveux et assiste au spectacle d’un animateur pour enfants payé pour l’occasion, Agostino (Augusto Mario Russi). Yuri est instantanément attiré et fasciné par ce beau mec sûr de lui. Quand ce dernier lui demande de participer au spectacle, il accepte. Mais voilà qu’Agostino se met à légèrement l’humilier. Plus tard, Yuri ne peut s’empêcher  d’aller traîner là où Agustino à garé la caravane où il dort et vit. L’animateur lui propose de travailler pour lui comme assistant. Il persiste à prendre de haut, dominer subtilement Yuri qui est partagé entre le fait de se sentir agressé et d’être attiré par la force noire qui émane de ce mâle sexy. 

patagonia film

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Du jour au lendemain, Yuri décide de fuir de chez lui et de partir sur la route avec ce magnétique inconnu possiblement vénéneux. Après un premier job qui se solde par un échec (Agostino recommence à humilier Yuri qui le prend mal et interrompt sa participation), les deux mecs vont continuer d’avancer ensemble. Ils vont s’arrêter au milieu d’une zone près d’un village isolé où squattent tout un tas de marginaux. 

Personne ne pose de questions sur la relation étrange qui lie Agostino et Yuri et ce dernier est relativement bien accueilli par les gens du coin, notamment par Morgan (Alexander Benigni) , un jeune queer qui va lui offrir une petite souris. Yuri va également faire la connaissance d’Alma, visiblement compagne d’Agostino au courant de sa bisexualité et assez ouverte sur le sujet, acceptant la présence de Yuri et le laissant même s’occuper de son bébé. 

Les jours passent et Yuri se demande où tout cela va bien pouvoir le mener. Agostino lui fait miroiter un voyage à deux en Patagonie, terre du feu qui lui rappelle son père. Ils doivent économiser pour mener à bien ce projet. Mais est-ce que tout cela est bien réel ? De jour en jour, Yuri se laisse de plus en plus diriger par Agostino qui n’hésite pas à sérieusement le bousculer voire le malmener… 

patagonia film

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C’est définitivement un premier long-métrage singulier que signe ici Simone Bozzelli. On a du mal à comprendre ce qui est en train de se tramer et cela va de pair avec l’état du personnage principal, le fragile et très attachant Yuri qui avance quelque part tête baissée sans savoir dans quoi il a mis les pieds. La seule certitude c’est qu’il est complètement sous l’emprise du bel Agostino. Une emprise qu’il subit dès les premiers instants et qu’il refuse de fuir : comme hypnotisé, fatalement attiré par ce bad boy avec marqué TOXIQUE en lettre capitales sur son visage, Yuri fonce dans une sorte d’élan d’auto-destruction. Il y a des garçons poisons à qui on n’arrive pas à dire non… 

Une relation dominant-dominé floue se tisse et pour avoir lieu elle exige la participation de deux participants. Pour Agostino les choses semblent assez claires : il aime diriger, dominer, il perçoit tout de suite le caractère docile et soumis de Yuri et le prend sous son aile. Pour Yuri les choses sont plus complexes. Il trouve chez Agostino différentes figures. Celle d’un père absent, d’un grand frère qu’il n’a jamais eu, d’un ami comme il aurait eu besoin d’en avoir et enfin d’un amant et d’un premier amour. Le jeune homme « pas fini » s’embarque dans une éducation sentimentale à la dure où le sadisme et les humiliations pourront surgir sans crier gare mais la tendresse aussi. 

patagonia film

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Dire d’une relation qu’elle est toxique peut parfois paraître un peu expéditif. Si les échanges entre les deux garçons de Patagonia apparaissent rapidement comme étant malsains, ils sont empreints d’une « zone de gris », de nuances. Aussi dur, cruel, pervers, Agostino peut-il être, son affection pour Yuri est indéniable. Et dans la douleur, Yuri va apprendre en un court laps de temps beaucoup de choses. Il va grandir, il va souffrir, il va y laisser des plumes mais peut-être pour quelque part enfin devenir lui-même. La scène finale est à ce titre très belle. 

Si le film mise beaucoup sur son duo d’acteurs –  et à juste raison car ils sont magnifiques et puissants dans leur interprétation, chacun à leur façon – il est aussi très solide en termes d’écriture dans sa façon de décrire une relation opaque, qui échappe aux cases. Et surtout la mise en scène est également au rendez-vous. Ornée d’une photographie qui peut d’abord paraître un peu cracra mais qui accroche de plus en plus la rétine, Patagonia, nous entraîne ailleurs, dans un autre monde. Sur ce site de marginaux comme coupés du monde, la vie sauvage se déploie avec une certaine beauté. Sans temps mort, ce premier long intense ne cesse jamais de fasciner, émouvoir et intriguer. 

Film produit en 2023 et présenté au Festival Chéries Chéris 2023

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3