CINEMA
PEAU D’ÂNE de Jacques Demy : enchantement
Il était une fois un roi (Jean Marais) qui vivait dans un grand château et qui possédait un âne merveilleux. Cet âne crottait de l’or et autres pièces précieuses, assurant la fortune de son propriétaire. Mais le bonheur ne se résume malheureusement pas à l’argent et la reine mourut. Avant de partir à jamais, elle fit promettre à son époux de ne se remarier qu’avec une femme plus belle et mieux faite qu’elle. Pas facile. Après avoir vu les portraits de nombreuses princesses, le roi réalisa que la seule épouse potentielle, la plus belle, était sa fille (Catherine Deneuve). Cette dernière n’était pas tellement contre l’idée d’épouser son papa, elle ne savait pas trop quoi en penser en fait. Elle demanda alors conseil à sa marraine la fée (Delphine Seyrig) qui lui fit comprendre que c’était là une intolérable idée. Elle poussa alors la princesse à être odieuse afin de décourager le roi dans ses désirs de mariage. Elle demanda des robes de plus en plus belles, folles, extravagantes. Elle demanda même la peau de l’âne fétiche. Le roi céda sur tout. Ne sachant plus quoi faire, la princesse fuit son royaume, la peau d’âne sur elle. Déguisée en souillon, elle débuta une nouvelle vie faite de pauvreté et de sacrifices. Mais elle avait en sa possession une baguette magique que sa marraine lui avait laissée. Dans sa petite cabane, la princesse qu’on appelait alors Peau d’âne rêvait d’un prince qui viendrait la sauver…
Adaptation du conte de Charles Perrault, Peau d’âne est un projet auquel tenait Jacques Demy depuis de nombreuses années avant qu’il ne puisse le réaliser. Dès les premiers instants, on ne peut s’empêcher de penser à la Belle et la Bête de Cocteau, le cinéaste faisait même un lien évident avec cette œuvre culte en donnant le rôle du roi à Jean Marais. Mais la filiation laisse rapidement place à l’univers singulier de Demy. Puisqu’il se retrouve à diriger un conte, le réalisateur se lâche comme jamais avec son équipe. C’est un festival de couleurs, de décors, de costumes complètement fous, kitsch et fabuleux. Comment oublier les robes que reçoit la princesse capricieuse, le fauteuil chat du roi et cette fameuse peau d’âne qui portée par Catherine Deneuve qui nous fait sourire comme jamais… L’enchantement est total et vaut aussi bien pour les plus petits (qui se laisseront portés par un univers magique et des chansons qui n’ont rien à envier aux plus grands films de Disney) que pour les grands (qui se régaleront du second degré omniprésent et de la perversité bien cachée).
On a tous un rapport très personnel à Peau d’âne, qu’on l’ait découvert enfant, ado ou plus adulte. Mais quoi qu’il arrive, le plaisir, l’émerveillement, sont toujours au rendez-vous. A titre personnel, je ne me lasse pas de la supra-kitsch scène où Catherine Deneuve joue la chanson phare « Amour, amour » sur son orgue dans le parc du château avant que le perroquet reprenne cet air faussement innocent. Les scènes devenues cultes sont nombreuses comme celle de la préparation du « cake d’amour » en chanson – cake dans lequel Peau d’âne glisse une bague afin de pousser le prince de ses rêves à la retrouver. La musique est signée Michel Legrand, fidèle compositeur de Demy qui nous livre une fois de plus des mélodies merveilleuses et intemporelles qui restent en tête.
Peau d’âne est à la fois très drôle (« la vieille » qui crache des crapauds, la fée manipulatrice (magnifique Delphine Seyrig) qui pousse Peau d’âne à être capricieuse), d’un kitsch jouissif (les ralentis de Peau d’âne déguisée) et totalement merveilleux. On retrouve complètement son âme d’enfant, cette sensation d’être emporté par une histoire pleine de rebondissements, de fantaisie et d’amour. Rarement un film en prises de vues réelles est parvenu à atteindre un niveau pareil. A l’ensemble relativement naïf, s’oppose discrètement le thème sulfureux de l’inceste. Peau d’âne ne serait pas contre épouser son père. On nous dit qu’après tout toutes les petites filles disent un jour rêver d’épouser leur papa. Si elle n’était pas poussée par la fée à refuser, la jeune fille se serait bien mariée à son géniteur. Et lors de la fin du film, alors qu’elle a trouvé l’amour auprès du prince , elle ne peut s’empêcher d’afficher un air confus alors qu’elle apprend que son père va se marier avec une autre – la fée justement, qui l’a au final plus manipulée qu’autre chose. Troublant.
Plus qu’un fabuleux conte cinématographique intemporel, Peau d’âne est aussi un hommage aux femmes, leurs rêves, leurs caprices, leur magie, leur délicieuse espièglerie. Chef-d’oeuvre.
Film sorti en 1970. Disponible en DVD et VOD