CINEMA

PÉCHÉ MORTEL de John M. Stahl : la femme qui aimait trop

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Dans le wagon d’un train, Richard Harland (Cornel Wilde), charmant romancier, se laisse envoûter par la beauté d’une inconnue. Cette dernière répond au nom d’Ellen Berent (Gene Tierney) et se trouve justement être en train de lire son dernier livre alors qu’il engage la conversation avec elle. Par un heureux hasard, une fois arrivés à destination, Richard et Ellen découvrent qu’ils vont être amenés à passer plusieurs jours ensemble. Bien qu’il remarque qu’elle porte une bague au doigt et qu’elle lui avoue être fiancée, Richard ne peut s’empêcher d’être subjugué par la belle. En seulement quelques jours, il tombe amoureux d’elle.

Quand Russell Quinton (Vincent Price), le fiancé d’Ellen, débarque un soir en catastrophe, tout s’accélère. Ellen lui a envoyé un télégramme pour rompre avec lui sur le champ et elle lui annonce qu’elle envisage de se marier à Richard. Sauf que ce dernier n’en savait absolument rien ! Réalisant qu’Ellen est sérieuse, l’écrivain se laisse porter par son impulsion et l’épouse. Ils vivent dans un premier temps une romance délicieuse : Ellen apparaît solaire, entièrement dévouée à son époux.

Mais quand le petit frère handicapé de Richard, Danny, entre dans la partie, Ellen commence à voir rouge. L’homme de sa vie, elle ne veut le partager avec personne ! Quand son mari l’entraîne dans une bourgade, loin de tout, avec dans les parages Danny et un homme d’entretien, la brune passionnée commence à mettre en chantier quelques manigances pour se débarrasser de ceux qu’elle perçoit comme des parasites. Prête à tout pour rester le centre de l’attention de Richard, elle va peu à peu transformer son quotidien en un véritable cauchemar…

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Adaptation d’un roman de Ben Ames Williams, Péché Mortel (Leave her to heaven en VO) est devenu un film culte grâce à l’interprétation époustouflante et au magnétisme de son actrice principale, Gene Tierney. Dès la première minute où la caméra se pose sur elle, Ellen Berent prend vie et ensorcelle aussi bien Richard Harland que le spectateur. Filmée comme une déesse, une femme de caractère, forte, Ellen joue dès le départ à un drôle de jeu avec celui qu’on devine être sa « proie ». Elle lui fait remarquer qu’elle n’est pas très emballée par le livre qu’elle est en train de lire (et qui n’est autre que le sien), lance qu’il lui rappelle son père… Un père avec lequel elle était extrêmement fusionnelle, qui vient de mourir et dont elle s’apprête à disperser les cendres. Il était l’homme de sa vie, au détriment de son fiancé Russel. Maintenant qu’il n’est plus là, elle pourrait se consacrer à son compagnon mais elle préfère jeter son dévolu sur Richard, homme bon, doux, qui se laisse si facilement embobiner et qui a l’apparence jeune du défunt paternel. Un point de départ tordu pour une romance qui ne va pas manquer de dégénérer.

Technicolor, très belle photographie, mise en scène qui laisse une place importante aux paysages sublimés : le film est absolument sublime à regarder. On se croirait devant un flamboyant mélodrame mais le réalisateur y instaure subtilement et progressivement quelques codes du thriller. On pouvait penser au départ que Ellen allait provoquer la chute de Richard en abusant de sa candeur mais on comprend petit à petit que c’est elle-même et tous ceux qui ont le malheur de l’approcher et de l’aimer qu’elle détruit. Obsessionnelle, ultra possessive, machiavélique : la belle ne supporte pas que le contrôle lui échappe, a en horreur les surprises et ne peut tolérer qu’on la délaisse.

Chaque personne gravitant auprès de son mari devient une menace à ses yeux. Usant de divers stratagèmes, elle tente peu à peu de faire disparaître ses « ennemis ». Et si l’un d’entre eux venait à lui résister, il ne ferait pas long feu. Oscillant en permanence entre son regard diabolique et sa tendresse débordante, le personnage est absolument génial et se dessine sous nos yeux un des portraits de garce les plus jouissifs de toute l’Histoire du cinéma. Portée par une héroïne aussi folle que magnétique, monstrueuse qu’attachante, Péché mortel a l’élégance des grands classiques et l’irrésistible goût des plaisirs coupables (une flopée de scènes bitchy et cultes – celle de la rencontre, de la noyade, de l’escalier …).

Variation très sombre sur la jalousie dans une Amérique faussement colorée et bienveillante, portrait d’une amoureuse furieuse qui implose et envenime les existences de tous ses proches, Péché Mortel regorge de moments et de plans inoubliables. Seul bémol : un final un peu convenu, loin de tous les réjouissants excès qui l’avaient précédé. On passe largement outre.

Film sorti en 1945 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3