FICTIONS LGBT
PÉDALE DOUCE de Gabriel Aghion : un hétéro dans le monde gay des 90’s
Adrien Aymar (Patrick Timsit) travaille dans une banque à Paris et ne manque pas d’ambition. Mais quand, en vue d’un projet qui pourrait lui rapporter gros, son patron, Alexandre Agut (Richard Berry) l’invite « avec sa femme » à un dîner chez lui, il est bien embêté. Car Adrien, lisse et professionnel le jour, devient une véritable folle extravertie et affirmée la nuit. Passant son temps à draguer les garçons, il n’a bien évidemment pas d’épouse et craint que cela ne fasse désordre auprès de son supérieur visiblement très bourgeois et conservateur.
Il a alors l’idée d’amener Eva (Fanny Ardant) , sa meilleure amie et tenancière d’un restaurant-club gay (« Chez Eva »), en la faisant passer pour sa tendre moitié. Ils croisent sur le palier un collègue d’Adrien, André Lemoine (Jacques Gamblin) qui leur avoue être lui aussi homosexuel. Le dîner part vite en vrille, la franchise et l’extravagance d’Eva provoquant des tensions avec la sœur de la femme du grand patron Agut. Mais ce dernier ne s’en offusque pas, au contraire. Il est très intrigué et attiré par Eva qu’il ose draguer alors qu’il pense naïvement qu’elle est mariée à son employé. Décidant de lui courir après, il finit par atterrir dans son restaurant et découvre la « double vie » d’Adrien et André, jouant les folles libidineuses sur la piste de danse. Tombant amoureux d’Eva, il tente de s’accommoder d’un monde qui lui était jusqu’alors étranger. Un malentendu va amener sa femme Marie (Michèle Laroque) à penser qu’il est lui aussi « de la jaquette »…
Grand succès populaire, Pédale douce a toujours eu ses fans et ses détracteurs. On a ainsi beaucoup reproché au film sa représentation très caricaturale de l’homosexualité, réduisant les gays à de grandes folles passant toutes leurs soirées à faire la fête et à s’envoyer en l’air. Mais si l’ensemble n’hésite pas à lorgner vers la vulgarité et une certaine « beauferie » qui va avec, le long-métrage de Gabriel Aghion ne manque pas d’audace. C’est déjà l’une des rares grosses comédies populaires françaises à avoir traité de l’homosexualité de façon très open et bienveillante. Si les homos du film sont outranciers, hauts en couleur, Pédale douce tend à montrer qu’ils sont aussi et avant tout « comme les autres ». Assez habilement, cette comédie parle de la difficulté d’assumer dans les années 1990 son homosexualité au travail, le machisme latent du monde professionnel, la difficulté de trouver l’amour, l’espoir terriblement infime de pouvoir un jour devenir parent, la menace persistante du VIH. Tout cela est évoqué en filigrane mais est bien là alors que se jouent plusieurs histoires d’amour.
Il y a tout d’abord le couple à la dérive d’Alexandre Agut et de sa femme Marie. Ils ne font plus l’amour depuis longtemps, elle ne peut lui donner d’enfant (il croit qu’elle est stérile mais elle n’a surtout pas envie d’être mère). Aussi compréhensive puisse-t-elle être, elle le renvoie à un monde bourgeois qui l’ennuie. Alors qu’il court après Eva, Agut pénètre dans le milieu gay. Sa femme l’y surprend et une série de malentendus vont l’amener à penser que son mari est gay. Elle se révélera alors absolument prête à tout pour sauver leur mariage, acceptant dans sa tête l’idée que son époux puisse coucher avec d’autres hommes, essayant de voir si elle fait de moins bonnes fellations que les gays, organisant une soirée mousse pleine de drag queens et de folles dans son appartement du 16ème arrondissement. Ce couple condamné est l’occasion pour le réalisateur, son scénariste (Patrick Timsit) et son dialoguiste (Pierre Palmade) de jouer avec le décalage de parisiens bourgeois coincés, coupés des réalités, et la marge libérée que représente « le monde homo ». Pour faire rire, aucun cliché n’est épargné et la plupart du temps il faut avoue que cela fonctionne très bien.
Le deuxième couple, peut-être le moins intéressant malgré l’excellente interprétation de Fanny Ardant, est celui « adultère » d’Agut et d’Eva. Une love story contrariée : il est marié, ils ne vivent pas dans le même monde (lui riche et sur des rails, elle entourée de gays)… Ce chassé croisé amoureux est avant tout un prétexte (assez guimauve et attendu) pour plonger un hétérosexuel au cœur de la nuît gay, ses rave parties, ses extravagances. Enfin, il y a le couple principal du film : celui d’amitié formé par Adrien et Eva. C’est le duo le plus attachant et le plus drôle. Mais les choses se gâtent quand Adrien a peur de voir sa meilleure amie le reléguer au second plan alors qu’elle tombe amoureuse de son patron…
Disposant d’une première partie culottée où les répliques savoureuses fusent, Pédale douce s’égare un peu dans son deuxième acte, un peu plus maladroit et lourd. Si le rythme faiblit un peu, le divertissement reste assuré et quoi qu’on en dise il s’agit là d’une comédie populaire de qualité, qui tient à amuser tout en essayant d’ouvrir un peu les esprits.
Film sorti en 1996 et disponible en VOD