CINEMA
PERFECT MOTHERS de Anne Fontaine : désirs et illusions
Au cœur d’une sorte d’Eden balnéaire, Lil (Naomi Watts) et Roz (Robin Wright), meilleures amies depuis toujours, vivent avec leurs deux fils. Lil est la mère de Ian (Xavier Samuel), beau blond suave qui a été marqué par la mort de son père alors qu’il n’était qu’un enfant. Depuis, Lil n’a pas retrouvée d’homme avec qui faire sa vie. Roz est la mère de Tom (James Frecheville) et est mariée à Harold. Quand ce dernier se voit offrir un poste à Sidney, il aimerait bien que sa femme et son fils le suivent. Mais Roz n’a pas l’air de se sentir prête. Le mari part seul dans un premier temps, laissant les deux mères seules avec leurs deux garçons qui sont devenus de jeunes hommes au physique de rêve. Un soir, Ian saute sur Roz. Ils couchent ensemble. Problème : Tom assiste à la scène. Il s’empresse d’aller tout raconter le lendemain à Lil en tentant de la séduire à son tour. Lil est sous le choc mais alors que plus tard Tom la rejoint, tentateur, dans son lit, elle cède à ses avances. Quand vient le moment des révélations et de la confrontation entre les deux meilleures amies qui ont couché avec le fils de l’autre, l’issue n’est pas celle que l’on aurait pu imaginer.
Lil avoue se sentir mieux que jamais et qu’elle n’a aucune envie d’arrêter. Roz n’en a pas plus envie. Non seulement elle annonce à son mari qu’elle ne le rejoindra pas à Sidney mais elle poursuit discrètement sa liaison avec un Ian sensuel et affectueux. Le temps passe, Roz divorce, les liaisons continuent. Lil, Tom, Roz et Ian vivent comme deux couples complices, refusant de voir le côté malsain de la chose. Au bord de l’eau, loin du regard des autres, ils vivent sans se soucier des règles, de la morale, suivent leurs envies. Mais un jour, Tom part séjourner chez son père et en revient changé : il a fait la connaissance d’une fille de son âge. La réalité rattrape Lil, qui a le cœur brisé. Elle se sépare de son jeune amant auquel elle était très accrochée et dans le même temps Roz met un terme à sa relation avec Ian, décidant de le laisser voler de ses propres ailes, de le laisser trouver comme Tom une fille « normale ». Mais Ian n’en a aucune envie. Alors que les deux mères deviennent grand-mères, que leurs fils bâtissent une vie familiale en apparence plus saines, les petites cachotteries et faiblesses ne tarderont pas à refaire surface…
Adaptation d’un roman primé de Doris Lessing (Prix Nobel de littérature) , Perfect Mothers permet à sa réalisatrice Anne Fontaine de retrouver un cinéma plus sulfureux (à l’instar de son excellent Nettoyage à sec), elle qui s’était perdue dans un certain embourgeoisement avec ses oeuvres précédentes. Avec son duo d’actrices stars et ses deux jeunes comédiens des plus attrayants, elle retrouve la fièvre des plans et l’ambiguïté des débuts. Formellement le film joue de ses décors idylliques, donnant la sensation que les résidents des environs vivent des vacances à l’année, presque hors du monde. Une sensation renforcée par de multiples plans décadrés, qui isolent les personnages dans le champ, nous montrant qu’ils sont ailleurs, dans une bulle.
Le film peut mettre mal à l’aise de par son traitement car si à l’écran nous voyons une sorte de « néo-inceste » se déployer (les rapprochements entre les deux mères et les jeunes hommes sont d’autant plus troublants qu’on nous les a présentés au début du film alors que les fils n’étaient que deux petits enfants), aucun jugement n’est palpable. Anne Fontaine nous laisse être les propres juges de ce qui nous est présenté. Elle se fait la complice du désir de Lil et Roz pour Tom et Ian, filmés avec envie, leurs corps imberbes et délicatement musclés joliment offerts, leur peau qui donne envie d’être croquée… Les deux jeunes acteurs au physique de mannequin sont clairement érotisés et les scènes d’intimité sont particulièrement sensuelles, peuvent facilement tendre à l’excitation. De quoi renforcer le trouble.
Telle mère, tel fils ? Liz et Ian tombent tous les deux amoureux de leurs amants. Ian insistera pour continuer sa liaison avec Roz, lui faisant comprendre que son attirance et son amour pour elle ne datent pas d’hier. Liz prendra très au sérieux son histoire avec Tom, et quand celui-ci commencera à voler de ses propres ailes, elle se retrouvera seule, incapable de lutter face à la jeunesse, au poids du temps, face à ses propres échecs, sa situation finalement assez pathétique. Roz et Tom, eux, sont plus pragmatiques. Bien qu’elle soit attachée à Ian, Roz peut se faire rationnelle et mettre un terme à leur relation quand elle estime que les choses pourraient mal tourner. Pour sa part, Tom semble d’abord coucher avec Lil pour se venger de la trahison de son ami et de sa mère, vit la chose comme une aventure sexuelle plus qu’autre chose.
Malgré le contexte plus que particulier, l’amitié entre Lil et Roz ne se fragilise pas. Au contraire, le lien entre les deux femmes apparaît comme indestructible, pour le meilleur comme pour le pire. A plusieurs reprises, on insinue, on plaisante sur le fait qu’elles pourraient être lesbiennes. Tout cela n’est pas innocent car on pourrait très bien dire que leur amitié est tellement fusionnelle qu’en couchant avec le fils de l’autre, elles se rapprochent chacune de leur chair. Ce qui frappe c’est l’absence de responsabilité des deux femmes. Si les deux garçons sont jeunes et peuvent s’égarer, les mères savent ce qu’elles font et les risques que cela implique. Après avoir fait leur apprentissage sexuel dans de telles conditions, Ian et Tom pourront-ils aspirer à des vies normales ? Le romantique Ian ne veut même pas se poser la question : il a Roz dans la peau, les autres ne seront que des substituts, même s’il refuse d’envisager qu’elle est sur le point de vraiment vieillir. Tom, lui, croit être libre avant d’être rattrapé par ses pulsions sexuelles, qu’on peut supposer déréglées. Dans les deux cas, les garçons sortent avec des femmes qui pourraient être leur mère et traitent leur propre maman comme une amie (Lil se comportant notamment à plusieurs reprises comme une adolescente énamourée).
Le carré d’amants fonctionne quand il se berce d’illusions, quand il se réalise dans son eden balnéaire. Mais dès que des éléments ou intervenants extérieurs s’immiscent dans le cadre, la réalité des choses frappe, fait mal. Perfect Mothers est un film sur cette incapacité à se défaire de l’illusion, à accepter le temps qui passe, le monde et ses règles qui nous rattrapent. Conscients que ce qu’ils font n’est pas sain, les personnages finissent par se replier sur eux-mêmes, s’excluent pour rester dans leur bulle sensuelle. Mais est-ce que cela pourra durer ou se finir sans heurts ? Rien n’est moins sûr. Avec sa fin ouverte et subtilement grinçante, le film se clôture en apothéose et marque durablement.
Film sorti le 3 avril 2013. Disponible en DVD et VOD