FICTIONS LGBT
PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE : Christophe Honoré revient en force
« Les chansons d’amour », « Les bien-aimés », « Dans Paris », « 17 fois Cécile Cassard »… On ne s’en cache pas : on adore ici les films de Christophe Honoré. Il fût un temps où il sortait pratiquement un film par an et avait le vent en poupe. Et puis les choses s’étaient un peu trop calmées. Le cinéaste revient par la grande porte avec « Plaire, aimer et courir vite », en compétition au Festival de Cannes et soutenu par une presse unanime qui crie partout que c’est son meilleur film. Même ceux qui d’habitude avaient en horreur son univers « bobo » et saturé de références à la Nouvelle Vague tombent sous le charme de ce portrait d’un homme atteint du Sida à Paris dans les années 1990.
L’histoire c’est donc celle de Jacques (Pierre Deladonchamps), écrivain gay bogosse, attachant mais parfois pénible et irritant, papa d’un petit garçon qu’il a eu avec une amie (Sophie Letourneur). Touché par le virus du Sida, il redoute qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps à vivre. Il flirte de temps en temps avec Jean-Marie (Quentin Thebault), un jeune homme un poil insaisissable. Quand il ne se partage pas la garde de son petit garçon, il passe du temps avec son meilleur ami (qu’on devine un poil amoureux de lui en secret), Mathieu (Denis Podalydès).
Si la maladie inquiète Jacques (notamment à travers la déchéance physique d’un ex qu’il héberge quelques temps – interprété par l’excellent Thomas Gonzalez), il n’a pas encore de signes vraiment alarmants et continue de vivre. Lors d’un week end à Rennes, il croise par hasard dans une salle de cinéma le regard d’Arthur (Vincent Lacoste), un garçon lumineux, insoucieux, aspirant cinéaste. Ils se plaisent tout de suite et se retrouvent pour une nuit de déambulations et d’embrassades. Les jours, semaines et mois qui suivent, ils restent en contact en se parlant au téléphone ou en s’écrivant des lettres. Pour Arthur, c’est l’occasion de commencer à s’assumer alors que jusqu’alors il avançait à tâtons, à moitié en couple avec son amie Nadine (Adèle Wismes) et voyant en cachette des hommes dans des lieux de cruising en plein air.
Jacques et Arthur auront-ils le temps de s’aimer ? Rien n’est sûr alors que la maladie de Jacques menace à tout instant de gagner la partie…
C’est une oeuvre très dense que livre là Christophe Honoré. Il y est bien sûr question du portrait d’un homme atteint du Sida et de la solitude et la peur qui ont pu frapper beaucoup d’hommes gays dans les années 1990. Le film va toutefois bien au-delà de cela, racontant aussi l’éducation sentimentale d’un jeune homo, faisant la part belle à l’amitié, évoquant en filigrane la thématique de la transmission… Beaucoup de choses se passent à l’écran avec une mise en scène et une photographie très belles, une narration joueuse et inspirée, des dialogues pleins de drôlerie et un casting absolument magnifique.
Pierre Deladonchamps semble être un miroir déformé de Christophe Honoré, une version fantasmatique de lui-même. Le personnage a le mérite de ne pas être lisse. Jacques est beau, magnétique, charmeur, cultivé, malicieux mais il peut aussi se montrer désagréable, égocentrique, dur. Et on l’aime car on adopte le regard plein d’envie d’Arthur porté par un Vincent Lacoste qui se renouvelle complètement ici. Christophe Honoré l’érotise un maximum, il n’a jamais été aussi touchant, aussi désirable. Il est une petite boule d’amour adorable qui ne renonce pas, qui s’accroche même si le danger d’avoir terriblement mal à terme est là.
L’histoire d’amour du film est différente de ce que l’on peut voir habituellement. Oui, Jacques et Arthur s’aiment. Mais ils bougent beaucoup, vivent aussi leur vie de leur côté avec leurs amis ou des amants de passage. Les amours, les rencontres, sont extrêmement fluides, entre Rennes et Paris, à une période où l’incertitude règne. Le temps d’une soirée arrosée, le personnage d’Arthur parle de la jouissance heureuse des rencontres dans les toilettes, du cruising, de cette façon de savourer le plaisir, la liberté des corps. A un autre moment, Jacques encourage son ami un peu coincé et désespéré ,Mathieu, à ne pas avoir peur de « salir la beauté ».
C’est quelque chose d’assez récurent chez Honoré, que ce soit dans ses films ou dans ses livres : ce mélange de sexualité fluide et libre et de sentiments. Une sorte de perversité douce, joueuse, une façon de réconcilier le coeur et le corps, la tendresse et les pulsions. Et il y a là-dedans quelque chose de très beau, de libérateur alors que depuis tellement longtemps on stigmatise la sexualité, on en fait quelque chose de soit follement romantique ou de complètement sombre.
On ressort du film un peu sonné. Il s’est passé beaucoup de choses, on a l’impression d’émerger d’un rêve pas tout à fait heureux mais pas triste non plus. C’est un film qui donne curieusement envie de vivre, d’aimer, de faire l’amour, de déambuler dans la ville. Il est plein d’éclats. Et en même temps il y a dans cette oeuvre de la mort, de la cruauté parfois, quelque chose qui sert le coeur. « Plaire, aimer et courir vite », entre douces fantaisies et douleurs, fait l’effet d’un grand film dont les images et les situations vous habitent longtemps. On a eu souvent envie de pleurer mais on a aussi passé une majeure partie de la séance avec un énorme sourire aux lèvres. Car on se sent complices de tous ces personnages, car on a envie d’être avec eux, de les enlacer, de les aimer. On peut le dire : c’est une réussite totale.
Film sorti le 10 mai 2018
LES CRUSHS DU FILM
Rafale de jolis garçons entre un Vincent Lacoste plus craquant que jamais, un Pierre Deladonchamps toujours aussi bogosse, l’intense Thomas Gonzalez, le mignon et foufou Quentin Thebault, le charme discret de Clément Métayer. Non seulement c’est un grand film mais en plus il est totalement « eye candy ».